Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils n’ont pas moins admiré l’existence et le fonctionnement du « mandarinat… » Il y a de cela deux mois tout juste qu’à Lyon, lors de l’ouverture du Congrès pour l’avancement des sciences, l’un des savans qui font le plus d’honneur à la France contemporaine, M. Lippmann, parlant des « Rapports de la science et de l’industrie, » lesquels à ses yeux ne sont pas ce qu’ils devraient être, s’élevait avec autant d’éloquence que de force, et d’esprit que de bon sens, contre un système d’instruction publique, — c’est le nôtre, — dont les principes lui semblaient empruntés à la Chine. Ce n’était pas une boutade, et il appuyait sur cette indication. Le mandarinisme ou le mandarinat règne ou sévit en France, depuis plus de cent ans ; et toute initiative est comme entravée dans les liens de notre système d’examens, de concours ; et de programmes dont l’objet, assez naturellement, n’est que de mettre le jeune Français en état de subir le concours et de passer l’examen. Il n’y a rien de plus Chinois ! C’est la Révolution qui a organisé le système, mais c’est la « philosophie » qui en a posé les principes, et parmi les philosophes ce sont les admirateurs et les panégyristes de la Chine. Tout au concours et rien à la faveur, mais rien surtout à l’hérédité ! leur âme envieuse a été séduite par cette conception du mandarinat. Une aristocratie, puisqu’il en faut une, mais une aristocratie perpétuellement ouverte, et une aristocratie intellectuelle, dont l’accès ne soit donc interdit qu’à l’incapacité ! Des philosophes et des lettrés dans toutes les magistratures, et non pas les premiers venus, auxquels il aura plu de faire profession de littérature ou de philosophie, mais des philosophes ou des lettrés, vérifiés, contrôlés, estampillés et « garantis » par les supérieurs dont ils seront demain les égaux ou les « pairs ! » Ainsi le mérite n’est plus empêché de donner sa mesure, ni retenu dans l’obscurité de sa condition native par le hasard de la naissance ou le manque des biens de fortune. La « caste » est abolie ; on n’est plus de sa « classe » ou de sa « condition » qu’entre deux examens. Plus humble est l’origine, plus ardente est l’émulation, et, si l’on réussit, plus éclatant le triomphe. Il y a d’ailleurs quelques chances pour que le mandarin du premier rang occupe précisément la place que son mérite et sa valeur devaient effectivement remplir. Mais n’est-ce pas là encore aujourd’hui l’idéal même de la démocratie que nous croyons que nous sommes ? Cet idéal, ne sont-ce pas nos « philosophes » et nos « économistes » qui l’ont dégagé, défini et fixé ? Si ce n’est assurément ni à la Grèce, ni à Rome qu’ils l’ont emprunté, ni même à l’Angleterre de leur temps, mais à la Chine, de leur propre aveu, M. Lippmann, dans son