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dire qu’elle allait fonder les « études religieuses ? » On ne connaît encore qu’à peine, aux environs de 1780, quelques monumens de la littérature de l’Inde, et rares sont en Europe les quelques érudits qui savent les déchiffrer. On les compte et on les nommerait. Mais il apparaît déjà que, tout au rebours de la littérature chinoise, — qui est, de toutes les littératures, orientales ou occidentales, anciennes ou modernes, la plus « laïque » assurément, — cette littérature de l’Inde, depuis les Védas jusqu’aux Pouranas, est une littérature essentiellement religieuse, pour ne pas dire sacerdotale. Elle l’est jusque dans l’œuvre de ceux de ses philosophes qui semblent avoir fait contre elle profession d’athéisme. Elle le devient plus exclusivement, et, pour ainsi dire, plus « spécialement » encore quand les productions infinies du bouddhisme du Nord et du bouddhisme du Sud viennent s’y amonceler sur celles du brahmanisme. Toutes les questions y sont posées d’une manière qui n’est jamais sans quelque rapport avec le problème religieux entre tous, lequel est le problème de la destinée. Et, comme on n’a pu manquer de s’en apercevoir dès que le voile épais qui recouvrait les choses de l’Inde a commencé de se soulever, la connaissance de l’Inde est ainsi devenue l’indispensable ferment de toute spéculation religieuse. On ne saurait parler, aujourd’hui même du christianisme ou de l’islamisme, ni les comprendre historiquement, sans quelque connaissance des religions de l’Inde.

C’est ce que nous montrera quelque jour M. Pierre Martino, s’il écrit ce « troisième livre, » que semble exiger le choix même de son sujet, et, après l’Orient dans la Littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, s’il étudie l’Orient dans la littérature du siècle des Burnouf et des Renan. Il nous y retracera l’histoire en quelque sorte anecdotique, et parfois presque héroïque, du déchiffrement de ces écritures sacrées ou mystérieuses, qui n’étaient encore, il y a cent ans, pour nos pères, que de la « lettre morte ; » et il nous y racontera la prise de possession de ces littératures dont nous sommes encore extrêmement embarrassés de classer les monumens et de ressaisir l’évolution. Il nous montrera « la science des religions » se dégageant de la connaissance des monumens littéraires de l’Inde, et en particulier du progrès des études relatives au bouddhisme. On y verra deux autres sciences, ou, — car on devrait réserver ce nom de « science » à la connaissance des choses qui se sont vues au moins deux fois, — deux autres « disciplines, » s’engendrer de la même origine : ce sont l’ « ethnographie linguistique, » et la « psychologie des races. » Où en sont-elles présentement ? M. Martino nous le dira. Il