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haut qu’il appliquera la loi avec la plus stricte rigueur, s’apprête à l’interpréter très librement : et ce n’est pas nous qui nous en plaindrons. D’abord, on ne fermera pas les églises au mois de décembre prochain. Le Conseil des ministres n’en a pas encore délibéré ; mais M. Clemenceau a parlé ; il a déclaré qu’il s’en irait plutôt que de consentir à la fermeture d’une seule église sur toute la surface du territoire, et il n’y a pas apparence que le Conseil des ministres s’expose à la crise que provoquerait en ce moment la démission de M. Clemenceau ! Gardons-nous donc de regarder la loi de trop près : nous aurions peut-être quelque peine à comprendre comment on pourra se dispenser, le 11 décembre prochain, de remettre les églises entre les mains des municipalités et comment celles-ci pourront les remettre à leur tour à des associations cultuelles qui n’existeront pas. Laissons de côté ces chicanes de juriste. Les églises resteront ouvertes : c’est bien. Mais une autre question s’est posée : les curés pourront-ils y dire la messe et les fidèles l’y entendre ? On sait déjà que M. Briand a dit non. Heureusement, il n’est pas un homme immuable ; peut-être reviendra-t-il sur une opinion qu’il a donnée un peu vite, et seulement à des journalistes ; son honneur n’est pas engagé à ce qu’il y persévère. Toutefois, il faut bien l’avouer, l’opinion qu’il a exprimée peut se défendre : elle n’est en contradiction, ni avec le texte, ni avec l’esprit de la loi ; on serait même tenté de dire qu’elle y est pleinement conforme. C’est une singulière et fâcheuse aberration qu’a eue la loi de faire dépendre l’exercice public du culte d’une déclaration faite par les associations cultuelles, ce qui permet d’établir cette série de conséquences : pas d’associations, pas de déclaration, pas de culte public. Nous aurions compris la nécessité des associations pour recueillir les biens des fabriques, des menses épiscopales, etc., car tout cela fait partie du domaine temporel ; mais l’exercice du culte appartient au domaine spirituel : par quel lien artificiel l’a-t-on rattaché aux associations cultuelles ? Les critiques de l’autorité ecclésiastique sont, sur ce point, bien fondées. Il y a, en quelque sorte, rapport d’espèce entre les associations cultuelles et les biens matériels de l’Église, mais non pas entre ces mêmes associations et l’exercice tout spirituel du culte. La loi a établi là une dépendance arbitraire. Aussi le gouvernement chargé de l’appliquer sera-t-il placé dans une situation difficile, délicate, un peu équivoque, et qui pourra devenir hypocrite, s’il laisse les églises ouvertes en défendant d’y célébrer les saints offices et d’y administrer les sacremens. Pourquoi les laissera-t-il ouvertes ? Parce qu’il y aurait,