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l’essentiel en quatre lignes : il y avait à Heidelberg, aux approches de 1660, une petite princesse qui jouissait avec une joyeuse insouciance de sa belle santé et des plaisirs de son âge, cependant que ses parens travaillaient à l’envi à détruire leur foyer.

C’était la mère qui avait commencé. Le père décida de la ruine finale par l’une de ces idées extraordinaires qui peignent le désarroi où se trouvaient en Allemagne, vers le milieu du XVIIe siècle, les institutions, les esprits et les mœurs. L’initiative prise dans cette circonstance par Charles-Louis pesa lourdement sur l’avenir des deux enfans nés d’une union malheureuse. Le fils lui dut des soucis qui l’achevèrent, et mourut jeune. La fille devint à charge à son père parce qu’elle était gênante, et ce fut l’une des raisons pour lesquelles il la contraignit à un mariage lointain qui la désespérait. Le récit singulier qu’on va lire est la clef de toute l’histoire de Madame.


II

« L’électeur, rapporte la princesse Sophie, s’était enfin lassé de la méchante humeur de Madame sa femme, qu’il avait mitonnée sept années de suite sans en avoir pu venir à bout. » Il convient d’ajouter que, tout en la « mitonnant, » il ne lui avait jamais ménagé les observations, ni les éclats d’une jalousie dont lui-même reconnaissait l’injustice quand il était de sang-froid. L’Électrice n’étant pas femme à demeurer en reste, les scènes étaient passées en habitude, et Charlotte, la première, avait perdu le goût des raccommodemens. Son mari les aimait ; il lui en voulut. L’opiniâtreté de sa femme à le tenir à distance eut pour première conséquence un petit roman très banal en soi, mais que les caractères des personnages firent tourner au tragi-comique.

Charles-Louis et Charlotte n’étaient pas seuls, la nuit, dans leur chambre. L’Électrice y faisait coucher l’une de ses filles d’honneur. L’étiquette le voulait apparemment, et l’on ne badinait pas avec elle à Heidelberg, non plus, d’ailleurs, qu’à Hanovre, ni à Cassel, ni dans aucun des petits trous où d’obscurs principicules jouaient à tenir une cour avec leurs « domestiques. » La malheureuse que ses fonctions condamnaient à tout voir et tout entendre des nuits de ses maîtres était,