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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/788

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avait eu tant de bâtards, qu’elle jurait par ce ventre qui a porté quatorze enfans[1]. »

La princesse Sophie tranchait sur cette famille d’aventuriers et de casse-cou par son goût pour la paix et les existences régulières. De sa personne, elle avait grand air, et beaucoup de charme : « J’avais, écrivait-elle dans sa vieillesse, les cheveux d’un brun clair, naturellement bouclés, l’air gai et dégagé, la taille bien faite, mais pas fort grande, le port d’une princesse[2]. » Pleine d’esprit et leste à saisir les ridicules, c’était en même temps la personne du monde la plus raisonnable. Comprenant à merveille qu’elle était difficile à marier, elle avait borné ses désirs à trouver un mari d’un rang passable, qui ne battît point sa femme, comme certain veuf, frère du roi de Suède, qu’on lui avait proposé, et qui fût moins ivrogne qu’un prince de Holstein qui se disait amoureux d’elle : « Pour faire le galant, (il) but un si grand verre de vin à ma santé, qu’il rendit tout, et l’avala une seconde fois pour marquer la passion qu’il avait pour moi[3]. » Un troisième prince, George-Guillaume, duc de Hanovre, l’avait demandée en mariage, un peu malgré lui, et elle l’avait accepté. Il la repassa, sans la consulter, à l’un de ses frères, et elle accepta encore, avec une indifférence méprisante, jointe à la ferme volonté de bien vivre avec son mari, quel qu’il fût. Ce fiancé d’occasion laissa couler le temps sans paraître à Heidelberg, de sorte que la princesse Sophie était toujours fille quand les affaires Degenfeld vinrent lui donner une impatience extrême de quitter le pays. Non pas qu’elle fût choquée d’avoir un frère bigame ; elle ne se scandalisait pas pour si peu ; mais le château n’était plus habitable pour une personne aussi amie de son repos.

Sa patience fut récompensée. Elle raconte dans ses Mémoires l’arrivée de son futur époux, et ajoute ce mot qui la peint : « J’étais bien aise de le trouver aimable parce que j’étais résolue

  1. Lettre du 20 février 1716 (Fragmens de lettres originales de Madame, etc.). Cf. Saint-Simon (éd. in-8o), XVII, p. 88 et suiv., et les notes de M. de Boislisle. Les Fragmens de lettres originales, comme toutes les publications de ce genre faites au XVIIIe siècle, ne doivent être consultés qu’avec défiance ; mais les aventures de Louise-Hollandine étaient de notoriété publique. Voyez le Voyage de deux jeunes Hollandais, p. 385 ; les Mémoires d’Aubery du Maurier, éd. 1754, 1, 265 (note Boislisle). Saint-Simon, qui en fait presque une sainte, ne l’avait connue que vieille et repentie.
  2. Mémoires, p. 39.
  3. Mémoires, p. 49.