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de l’aimer[1]. » Les noces eurent lieu le 18 octobre 1658. Le marié s’appelait Ernest-Auguste, duc sans territoire de Brunswick-Lunebourg. Il était bel homme, et ce n’était pas un mauvais parti : il était coadjuteur du cardinal de Wartemberg, évêque d’Osnabrück, et destiné à lui succéder sur son siège épiscopal. Quelques éclaircissemens sont ici nécessaires.

Il importe de distinguer, dans l’Allemagne de la Réforme, entre les foules obscures qui cherchaient à satisfaire des besoins de conscience, et le groupe éternel des ambitieux ou des avides, qui ne voient jamais dans une révolution, religieuse ou autre, qu’une occasion de se pousser, ou de s’enrichir, aux dépens des vaincus. Parmi les centaines de princes épars dans ce vaste pays, il y en eut assurément qui se firent protestans par conviction. Il y en eut d’autres, non moins assurément, qui ne se seraient jamais convertis sans les tentations que leur offraient les biens d’Eglise pour engraisser leur budget et établir leurs cadets : « L’Eglise d’Allemagne, écrit Janssen, historien catholique, était alors la plus riche de la chrétienté. On a calculé qu’elle possédait presque le tiers de la propriété foncière[2]. » Le même Janssen reconnaît que le clergé germanique s’était fait haïr et mépriser par ses vices. À la faveur du chaos général, les mains s’allongèrent vers les biens d’Église, et l’on vit naître des compromis étranges entre les nouveaux possesseurs et la papauté.

On vit des princes protestans s’emparer d’un évêché, s’en attribuer les revenus, en habiter les palais, en porter le titre, et vivre, après comme devant, en protestans et en laïques. Rome alors, cédant à la force, leur abandonnait ce qu’ils avaient pris, à la condition de ne pas empiéter sur les fonctions spirituelles de l’évêque auquel ils s’étaient substitués : « En permettant à un prince protestant[3]de gérer la souveraineté et le temporel d’un évêché, de nom nier même aux dignités inférieures qui étaient à la nomination de l’évêque, l’Eglise ne pouvait en aucune façon lui permettre de s’ingérer dans le spirituel, et non seulement cet évêque protestant ne pouvait remplir les fonctions

  1. Mémoires, p. 61.
  2. L’Allemagne à la fin du moyen âge, I, 575.
  3. Ce passage est tiré d’un mémoire inédit de M. l’abbé Richard, le savant auteur de Pierre d’Epinac, archevêque de Lyon des Origines de la nonciature de France, etc.