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l’allemand, » et il possède bientôt une connaissance assez étendue de cette langue pour songer à fréquenter quelque université d’outre-Rhin. « J’ai toujours été surpris, écrit-il en ce temps, de voir mes pensées en parfaite harmonie avec le point de vue des philosophes et des écrivains de l’Allemagne… Leur contact marquera une époque dans ma vie. J’ai cru entrer dans un temple quand j’ai pu contempler cette littérature si pure, si élevée, si morale et si religieuse, en prenant ce mot dans son sens le plus élevé. »

L’action de la pensée allemande sur les sentimens religieux de Renan ne fait pas l’objet de notre étude. Mais, en même temps que leur panthéisme insidieux, il acceptait de ses maîtres d’outre-Rhin quelque chose de ces dispositions impérialistes et de cet orgueil de race qui, depuis Herder, en passant par Fichte, Hegel, Savigny, Jahn, jusqu’à Fallmerayer, Gervinus et Droysen, avait pris peu à peu une si grande place dans leurs spéculations historiques. On sait quels sont les grands traits de la thèse germaniste dans la philosophie de l’histoire. Les Indo-Européens ou Aryens, c’est-à-dire les Aryas, les Iraniens, Hellènes, Latins, Celtes, Slaves, et surtout leurs représentans les plus accomplis, les Germains, ont successivement conquis l’Europe et même le monde et ont apporté partout la culture. L’organisation féodale que les Germains ont conçue pour assurer leurs conquêtes et la fidélité instinctive qui les attache au principe de l’hérédité gouvernementale ont créé les nationalités modernes. Contentons-nous ici de cette brève indication, puisque nous allons retrouver la théorie développée et illustrée d’exemples frappans dans les écrits de Renan.

Remarquons aussi qu’un Français pouvait être, à cette heure, théoriquement germaniste dans le sens que nous venons d’indiquer, tout en restant sincèrement patriote. Au lendemain du grand avortement de l’unité allemande en 1848, nul en Europe ne prenait au sérieux, ou du moins ne considérait comme un danger prochain, la résurrection politique du Saint-Empire. La doctrine orgueilleuse des érudits d’outre-Rhin apparaissait comme une pure spéculation philosophique, un procédé ingénieux pour expliquer certains faits importans du passé, en France aussi bien que dans tous les pays de l’Europe ; comme une sorte de vanité rétrospective dans laquelle l’Allemagne cherchait sa consolation en présence des tristesses d’un avenir