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du livre confère aux deux peuples indistinctement le « caractère souverain de la beauté, » l’auteur ajoute que les Sémites, distancés sans retour après l’apostolat de Mahomet, ont laissé depuis lors les Aryens seuls à la tête des peuples civilisés.

Aussi bien que sa conception des races, les leçons des maîtres allemands de Renan « aryanisent » rapidement vers cette époque sa conception de la religion. L’Avenir de la science prétendait expliquer le christianisme par le judaïsme[1], et non point par les Pères platoniciens, qui n’appartiennent qu’à sa deuxième période[2]. L’Evangile et saint Paul procéderaient du Talmud et non du stoïcisme. Au contraire, la préface des Études d’histoire religieuse montre Renan tout prêt à souligner avec prédilection les influences aryennes dans la religion chrétienne, lorsqu’il refusait encore d’en tenir compte en rédigeant le médiocre article sur « les religions de l’antiquité » qui figure dans le même volume. Enfin son évolution est complète en 1860, alors qu’il envisage l’avenir religieux des sociétés modernes, à propos du livre de Salvador : Paris, Rome et Jérusalem. À ce moment, Renan est devenu pleinement aryaniste en religion. Il croit, dit-il, à une réforme du catholicisme. Toutefois, cette réforme ne consistera nullement à revenir au judaïsme comme l’insinue Salvador, car le christianisme n’est pas la continuation du judaïsme. Il est au contraire le fruit d’une réaction opérée contre l’esprit dominant du judaïsme au sein du judaïsme lui-même. Si le judaïsme a fourni le levain qui provoqua la fermentation chrétienne, cette fermentation se poursuivit plus tard en dehors de lui. L’influence hellénique et romaine d’abord, puis l’influence celtique et germanique prirent le dessus et façonnèrent la pensée religieuse de l’Europe. Schleiermacher et l’école catholique de Munich sont donc dans le vrai, poursuit Renan, quand ils nous offrent Socrate et Platon pour ancêtres directs et jugent ces sages bien plus voisins de Jésus-Christ que les rudes bédouins jadis régis par Josué ou David. Bunsen est inattaquable quand il enseigne que le progrès du christianisme doit consister à s’éloigner de plus en plus du judaïsme pour faire prédominer le génie de la race indo-européenne. Sans doute, ajoute en cet endroit l’ancien admirateur du sémitisme religieux qui n’entend point renier trop brutalement ses assertions du passé, sans doute

  1. Avenir de la science, p. 280.
  2. Ibid., p. 281.