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sur le tard pour l’Avenir de la science, l’auteur excuse en ces termes les « chimères » de sa jeunesse[1] : « Je ne me faisais pas une idée suffisamment claire de l’inégalité des races, » ce qui pourrait passer à la rigueur pour un aveu tardif de l’influence gobinienne[2].

Mais il faut reconnaître d’autre part que cette influence n’est pas indispensable pour expliquer l’évolution germaniste de la pensée de Renan après 1870, — évolution qui se marqua davantage encore après 1855. Car il travaillait exactement sur les mêmes sources allemandes que l’auteur de l’Essai sur l’inégalité des races, feuilletant comme lui chaque jour Ewald, Lassen et Mowers : peut-être aussi Klemm et Gervinus. Il a donc pu tirer directement des mêmes prémisses quelques conclusions analogues et, s’il a lu l’Essai sur l’inégalité des races, comme il est vraisemblable, cette lecture le confirma seulement dans des convictions qui, depuis quelque temps déjà, commençaient d’être les siennes.

Il est daté en effet de 1851, au retour de la mission d’Italie, cet article sur l’historien de la Ligue lombarde, Dom Luigi Tosti[3], où se révèle, pour un regard attentif et averti, la lutte dès lors commencée au cœur du jeune savant entre ses opinions démocratiques de 1848 et les suggestions chaque jour plus séductrices de la théorie germaniste. Ce sont les exagérations individualistes du moine guelfe, et ses anathèmes sur l’influence impériale allemande dans la péninsule, qui provoquent chez son critique français un commencement d’examen de conscience. « Certes, écrit ce dernier, l’Italie put éliminer à la longue l’élément germanique apporté dans son sein par la conquête barbare : et ce fut grâce à la vertu des traditions municipales, héritées de la latinité. Mais, en revanche, ne doit-elle pas son abaissement présent à ce « puritanisme de démocratie, » qui éclate dans toute son histoire et se reflète dans les jugemens de Dom Tosti, l’historien patriote ? Si, à l’exemple de la France, cette nation richement douée avait accepté la notion germanique de l’hérédité gouvernementale, si, comme sa voisine d’outre-monts, elle avait « subi la honte d’un roi, » peut-être ne serait-elle point réduite

  1. Page XII.
  2. Sur le terrain de l’orientalisme, Renan a retrouvé Gobineau et parlé avec sympathie de ses travaux sur la Perse, dans les Nouvelles études d’histoire religieuse.
  3. Dans les Essais de morale et de critique.