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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/859

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yeux la victoire définitive de la première de ces deux traditions antagonistes. Sans doute, bien des élémens germaniques se mêlèrent aux débuts de la Révolution et lui prêtèrent d’abord une apparence vraiment libérale ; mais ils disparurent rapidement dans la lutte et laissèrent dominer le seul esprit gaulois, qui donna dès lors pleine carrière à son goût d’administration unitaire, à son antipathie contre toute initiative individuelle. Il en fut ainsi, à tout le moins jusqu’en 1815 : notons cette date, car elle prépare l’apologie de la Restauration que nous allons bientôt entendre.

En attendant, voici la réhabilitation du haut moyen âge : elle ne saurait faire défaut sous la plume d’un néophyte du féodalisme : « Je ne suis pas de ceux qui regardent le moyen âge comme une époque accomplie de moralité et de bonheur, mais il me semble cependant que l’école libérale le calomnie un peu. Le moyen âge ne fut une époque atroce que dans sa seconde moitié, quand l’Eglise devint persécutrice, et la féodalité sanguinaire. Il y eut avant cela de longs siècles durant lesquels la féodalité fut vraiment patriarcale, et l’Eglise maternelle. Je crois que du VIIIe au XIIe siècle les pays chrétiens qui étaient à l’abri des incursions sarrasines furent assez heureux. » Voilà une assertion que les contemporains de Raoul Glaber ou les vassaux des sires de Coucy n’auraient peut-être point contresignée. Cessons donc de penser, poursuit Renan imperturbable, que la Révolution de 1789 nous dispense de pénétrer plus avant dans le passé de l’humanité. Longtemps elle m’a ébloui moi-même. En réalité, elle pouvait produire des administrations, non des corps. Le principe qui crée les institutions, à savoir la conquête et le droit personnel, était le principe même qu’elle entreprenait de supprimer. — Eh bien ! non, répondrons-nous à notre tour : ce principe fut écarté en paroles sans doute, parce que cela sembla plus habile : mais non pas en fait, bien au contraire. La Révolution fut-elle autre chose qu’une campagne de l’impérialisme plébéien, une tentative de conquête, une manifestation du droit de la force ? Il y a beaucoup de sophisme dans l’argumentation féodaliste.

Pour combattre les erreurs de l’esprit libéral et révolutionnaire, Renan espère dans la « diversité européenne, » c’est-à-dire, en termes plus clairs, dans l’esprit germanique encore actif en Allemagne et en Angleterre. Si la latinité continuait de former un orbis romanus, dépourvu de voisins organisés et véritablement redoutables, sa décadence serait sans remède, puis qu’il