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n’existerait plus, en dehors de ce cercle de fer, aucun élément de régénération. Heureusement, les fils des Gaulois aujourd’hui triomphans en France doivent « compter avec la liberté du dehors. » Le despotisme démocratique ne peut s’implanter que si tous les pays voisins sont à l’unisson. Là est le motif d’espérer. — Quand notre pays traversera des heures plus sombres, en 1871, le brillant critique de M. de Sacy semblera, nous le verrons, incliner vers le pessimisme qui anime l’Essai sur l’inégalité des races de son émule en germanisme et en féodalisme, le comte de Gobineau. Loin de compter alors sur quelque influence extérieure pour contenir ou améliorer l’esprit gallo-romain, il placera son espoir dans la puissance de contagion de cet esprit délétère, qui nous égalera bientôt des voisins, à leur tour affaiblis. Au lendemain de Sébastopol, à la veille de Solférino, l’instant n’est pas propice aux humeurs noires, et M. de Sacy se voit morigéné avec une indulgente condescendance pour ses préférences gallo-romaines.

V

Un peu moins d’une année plus tard, Renan trouvait de nouveau l’occasion d’exposer ses vues sur les tendances politiques du temps présent. Il appréciait en effet, le 1er juillet 1859, dans la Revue des Deux Mondes les Mémoires récemment publiés par Guizot. Témoignage capital que celui d’un historien philosophe, mêlé pendant près d’un demi-siècle au gouvernement de son pays, et le titre de Philosophie de l’Histoire contemporaine, que le jeune critique donne à cette étude, le montre disposé à élargir encore les données du vaste problème historique qu’il a mission de traiter. Les premières pages de l’article sont un exposé purement germaniste et féodaliste du passé des nations européennes. L’antiquité classique, répète Renan, fut dominée et, à la longue, écrasée, par une conception trop absolue de l’Etat. En réalité, le citoyen de Sparte n’était pas plus libre que le sujet du grand roi à Persépolis, puisque les lois des cités grecques étaient non moins tyranniques que le bon plaisir des tyrans orientaux. L’individualisme barbare a vraiment créé la liberté. La race germanique, en brisant les cadres trop rigides de l’empire romain, fit la plus grande révolution politique du monde, car l’idée de l’Etat était tout à fait étrangère aux Germains ; leur