Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie sociale reposait sur les engagemens, sur la fidélité, sur la ligue passagère des individus associés pour une œuvre commune. — Vue incomplète, objecterons-nous ici ; les choses se passaient bien de la sorte durant l’expédition militaire de conquête, mais non dans le sein de la tribu germanique, qui fut régie, comme toutes les organisations primitives, par la rigide et étroite constitution du clan. Et Gobineau avait mieux discerné cette féconde dualité d’inspirations antagonistes : traditionalisme au foyer, individualisme durant l’expédition guerrière.

« Quand nous aurons une bonne histoire des origines de la noblesse française, écrit Renan, on verra que chaque centre de familles féodales correspond à un centre de colonisation germanique. » La plupart des grandes maisons qui ont gouverné la France jusqu’à la Révolution remontaient à un établissement de l’époque carlovingienne. Or, dans la conception germanique et féodale, l’homme libre ne doit au roi que ce à quoi il s’est obligé en termes précis : il est dégagé de ses devoirs si le roi n’observe pas les siens. On voit ainsi Joinville menaçant saint Louis de quitter l’armée s’il n’obtient pas satisfaction d’un sergent du roi qui a frappé un chevalier de sa bataille. Il est donc facile de concevoir la nature particulière de la royauté qui sortit de ce chaos fécond. Elle devait être et elle fut en effet l’exercice d’un droit personnel et une sorte d’extension de la propriété : strictement héréditaire en conséquence, mais limitée en revanche par les chartes et les obligations librement consenties par les ancêtres, et à l’exécution desquelles on peut forcer le roi par la révolte.

Ce n’est pas ici le lieu de souligner toutes les illusions que trahit cette esquisse : son principal défaut est de faire germaniques des tendances et des institutions qui appartiennent à toutes les races et à tous les temps : n’étant que des formes de l’impérialisme rationnel, de la préparation et de l’organisation de la conquête. Entre toutes les nations européennes, Renan est conduit à accorder la palme de la sagesse politique à l’Angleterre, si maltraitée jadis par l’Avenir de la science. Seule, dit-il, cette monarchie a su porter à sa perfection le type du gouvernement germanique, tel qu’il vient d’être tracé : au-delà de la Manche, la féodalité a mûri ses fruits les plus savoureux qui sont le régime parlementaire et le principe de la division des pouvoirs. La France au contraire a dévié du droit chemin, surtout