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sus à tous les navires marchands, même français, et provoquèrent les doléances des commerçans provençaux. Le cardinal de Richelieu comprit que la sécurité de notre commerce, dans la Méditerranée, ne serait assurée que lorsque ces nids de pirates seraient détruits ; malheureusement notre marine de guerre, sous son gouvernement et celui de Mazarin, était encore rudimentaire et incapable de se mesurer avec la flotte barbaresque. De là, pendant un demi-siècle (1635-1690), une politique hésitante, et par suite inefficace, consistant en alternatives de démonstrations navales et de négociations. On a vu, par notre précédent récit, que l’apparition de nos vaisseaux de guerre devant Alger avait eu pour conséquence fatale le massacre de nos consuls, aumôniers et nationaux, et un redoublement de rigueur dans le traitement des esclaves. Nous allons assister, cette fois, à une série de négociations, ayant pour objet la paix maritime et surtout le rachat des captifs.


I

Rappelons d’abord comment se faisait le triage des prisonniers et à quels travaux ils étaient forcés. À peine étaient-ils amenés à bord du navire ennemi, que les corsaires, par des questions adroites et flatteuses, s’enquéraient en détail de leur pays d’origine, de leur famille, de leur profession et de leurs ressources, renseignemens précieux, d’après lesquels ils évaluaient leur valeur vénale, et éventuellement leur rançon. Tout cela était noté avec soin sur un registre. Puis on enchaînait les hommes. Arrivé au port d’Alger, on les débarquait et l’on faisait un triage préliminaire.

Dans un premier lot, on plaçait les gens de marque : gentilshommes et officiers, prêtres et religieux. C’est parmi eux que le dey, le pacha et l’agha, ou chef de la milice, faisaient à tour de rôle leur choix ; ces dignitaires réservaient aussi, pour leur harem, les plus belles captives. Un second lot, le plus nombreux, se composait des capitaines de navire, patrons de barque, chirurgiens, pilotes et matelots, qui devenaient les esclaves du corps de la milice. Ceux-ci étaient envoyés au beylik ou bagne de l’odjak[1] d’Alger et employés au service de la marine. On

  1. On appelait ainsi le gouvernement d’Alger.