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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/912

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poussé à bout par la souffrance ou entraîné par la soif de la liberté, essayait de fuir[1]. Ces tentatives d’évasion avaient souvent lieu pendant la présence de vaisseaux français dans la rade, car ils envoyaient chaque jour à terre des chaloupes, pour porter les officiers ou ramener le consul ou faire des provisions. Heureux l’esclave qui, trompant la vigilance des « chaoux, » pouvait s’y glisser ! Il était sauvé. D’autres, plus hardis, se lançaient à la nage et essayaient de gagner le navire ancré à distance ; quelques-uns y parvenaient, mais beaucoup, trahis par leurs forces, se noyaient ou étaient rattrapés par les corsaires Il y avait, en effet, en permanence dans le port, une demi-galère, prête à courir sus à ces fuyards. Malheur à ceux qui étaient ainsi repris. Ils étaient en général condamnés à mort et on les faisait périr dans les supplices les plus cruels afin d’intimider les autres esclaves. Le Père Dan n’a pas relevé moins de vingt-deux genres de torture. Le pal ou le feu lent sur un bûcher étaient les plus ordinaires. L’un des plus atroces était celui des « gauches » qui consistait à enfoncer dans le corps du malheureux des crocs de fer et à le tenir ainsi suspendu aux portes de la ville, jusqu’à ce qu’il mourût de soif ou d’épuisement. C’était un supplice analogue à celui de la crucifixion.

Il est impossible de dresser la statistique exacte des esclaves français détenus dans la régence d’Alger, à la fin du XVIIe siècle. Vivonne, dans une lettre à Charles IX[2], l’évaluait à 20 000. Soixante ans après, le Père Dan estime à 36 000 le nombre des Européens captifs dans les trois États barbaresques : Alger, Tunis et le Maroc, et il est sans doute au-dessous de la vérité. Alger étant celui des trois États qui avait la marine la plus nombreuse et la plus redoutable, on peut supposer que, malgré plusieurs rédemptions effectuées au cours du XVIIe siècle, le chiffre n’était guère inférieur à 15 000. Toutes les nations méditerranéennes et même l’Angleterre, la Néerlande et la Suède étaient représentées ; les Espagnols formaient le plus gros contingent. Le nombre des captifs français varia suivant qu’on était en paix ou en guerre ; le maximum fut atteint au moment des déclarations de guerre en 1683, parce qu’alors le dey d’Alger fit

  1. Il faut lire dans Cervantes : Ouvr. cité, acte IV, le dialogue entre deux captifs : Saavedra et P. Alvarez, un esclave qui prépare son évasion.
  2. Voyez Comte Hector de Castries, Sources inédites de l’Histoire du Maroc. Paris, 1905, 1er vol., pièce 86.