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français. Ensuite, conformément aux instructions du ministre de la Marine, on racheta les officiers, mariniers et matelots portés sur le rôle et enfin les non-marins. Mais que d’obstacles imprévus, que de vicissitudes rencontra cette libération ! Le 11 avril, le bruit courut que plusieurs captifs s’étaient enfuis à la nage et avaient été recueillis à bord des chaloupes des vaisseaux français en rade. Aussitôt, leurs maîtres de courir au Divan pour se plaindre et de faire retentir Alger de leurs doléances ; la population maure s’agite et s’indigne : on crie : « A mort, les chrétiens ! » Le dey, toujours inquiet des sentimens de la milice et craignant une émeute, fit venir le capitaine Marcel et le menaça, si l’on ne rendait pas les fugitifs, de rompre la négociation[1] et haussa la rançon des officiers prisonniers de 800 à 1 200 livres.

C’est là sans doute ce qui explique le fait mentionné par l’auteur de l’ « Histoire des Pères de la Mercy » racontant que cette année ils ne purent racheter que 150 esclaves et repartirent pour la France, la douleur au cœur, de n’avoir pu procurer la liberté aux 900 qui restaient en servitude. Il est vrai que bientôt après arriva le P. Grégoire de la Forge, vicaire général des Trinitaires, qui en racheta une centaine (1690).

Quelques années avant, on avait vu arriver, sur ce marché aux esclaves d’Alger, un laïque français, qui allait rendre les plus grands services à cette double cause, si étroitement unie : l’influence française, et la rédemption des captifs. Il s’agit de Denys Du Sault. Bayonnais, après avoir exercé quelque temps les fonctions de directeur de la gabelle dans sa ville natale, il avait été choisi par la compagnie du Bastion de France, en Algérie, qui, comme on sait, exploitait depuis la fin du XVIe siècle les pêcheries de corail sur la côte entre Bougie et Philippeville. C’était un commerçant avisé et bon administrateur et qui, connaissant, bien le caractère des Algériens, avait su gagner leur estime et leur confiance. De 1684 à 1720, année de sa mort, il ne négocia pas moins de sept traités de paix ou de commerce

  1. Ces évasions de captifs à bord de nos vaisseaux étaient l’objet de réclamations fréquentes du Divan, qui les assimilait à des vols de propriété. Louis XIV, d’autre part, maintenait le principe, admis par les Levantins « de regarder les vaisseaux battant son pavillon comme un asile où les esclaves fugitifs étaient en sûreté. » (Lettre de Pontchartrain à Vauvré, 18 juillet 1797.) Néanmoins, dans le cas actuel, il fallut donner l’ordre à nos officiers de marine, de ne pas favoriser ces évasions.