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contraire, et, tout aussitôt qu’une seule vous touche, vous vous en attristez et troublez. Vous êtes trop jalouse de cette pureté de foi, il vous semble que tout la gâte. Non, non, ma fille, laissez courir le vent, ne pensez pas que le frifillis des feuilles soit le cliquetis des armes. Dernièrement, j’étais auprès des ruches des abeilles, et quelques-unes se mirent sur mon visage. Je voulus y porter la main et les ôter. — Non, ce me dit un paysan, n’ayez point peur et ne les touchez point, et elles ne vous piqueront nullement ; si vous les touchez, elles vous mordront. — Je le crus ; pas une ne me mordit. Croyez-moy, ne craignez point les tentations, ne les touchez point, elles ne vous offenseront point ; passez outre et ne vous y amusez pas. » On rencontre à chaque instant de ces fleurs plus fraîches que celles de la bouquetière Glycera. D’une façon générale, le style des Lettres est également éloigné de celui du Traité de l’amour de Dieu, qui vaut par une sobriété et une vigueur relatives, et de celui de l’Introduction à la vie dévote dont on peut aimer, mais non contester la charmante mièvrerie. On n’y sent pas l’auteur. C’est le style naturel, mais chez un écrivain qui a toujours le souci d’écrire, et considère que la pensée a besoin d’être revêtue d’une forme de choix. — Une psychologie qui part de la réalité individuelle pour la dépasser, et qui, écartant le jargon de l’école, s’efforce de parler avec originalité la langue de tout le monde, c’est la psychologie des lettres de saint François ; mais qui ne voit que ce sera aussi bien la psychologie de tous nos maîtres classiques ?

Nous n’avons jusqu’ici parlé que de la méthode de saint François, et nous ne l’avons envisagée que par le dehors. En recherchant quel est, pour ainsi dire, le « contenu » de sa direction, nous serons frappés de voir à quel point elle a façonné l’âme de toute une époque. Le premier point en est, assurément, le parti pris de donner désormais toute l’importance à la vie intérieure. C’est d’elle que tout dépend. « Il ne faut point regarder à la condition extérieure des actions, mais à l’intérieur, c’est-à-dire si Dieu le veut ou ne le veut point. » Une personne dévote n’agit, ne parle, ni ne se tient autrement qu’une autre : toute la différence n’est que dans les dispositions intimes. De là cette nécessité de se replier sans cesse sur soi-même, de se rendre un compte exact des mouvemens de son âme et de leurs particularités, de compter, de peser et d’apprécier les mobiles auxquels on obéit. De là cette indifférence à tout ce qui venant du dehors, et n’étant pas nous-mêmes, est par conséquent négligeable, ou n’est tout au plus que l’occasion pour notre véritable nature de se manifester.