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toucher terre : il ne faut pas s’y coucher ni vautrer, mais aussi ne faut-il pas penser voler. » C’est déjà le mot fameux de Pascal auquel il ne manque que le relief de l’énergique concision. Ces pensées et tant d’autres qu’on extrairait de ces lettres, ou qu’on en a extraites et qui sont vraiment « l’esprit » de saint François, ont toute leur valeur, parce qu’elles reposent sur une vaste enquête, sur une expérience multiple, continuée quotidiennement pendant de longues années. J’ajoute que chez le moraliste profane, chez un La Rochefoucauld, un La Bruyère, un Vauvenargues, ces maximes isolées ont parfois l’air d’un jeu d’esprit. On ne sait ni à quoi elles se réfèrent, ni pour quelle part y entre le goût du paradoxe. Parfois même, on est tenté de se demander ce que vaut l’entreprise d’étaler notre misère humaine pour l’unique plaisir de faire briller à ses dépens notre esprit. L’étude des maladies de l’âme n’est tout à fait légitime, que lorsqu’elle n’est pas son objet à elle-même et que l’intérêt n’en, est pas limité à un intérêt de curiosité. Pour s’acquérir le droit de se pencher sur nos infirmités et d’en décrire l’affligeant spectacle, il faut avoir avec le désir formel de les soulager, l’assurance qu’on possède le moyen d’y porter remède.

Il ne suffit pas de donner des conseils, encore faut-il les faire accepter. On a tout dit sur le tact et la légèreté de main, sur la bonne grâce et la douceur insinuante, de saint François. Ce qu’il importe ici de noter, c’est que, soucieux de plaire, il a considéré que l’agrément littéraire en était encore l’un des plus sûrs moyens. Alors même qu’il écrit en courant, il ne laisse pas courir sa plume au hasard. Les tours ingénieux lui viennent d’eux-mêmes ; mais parce qu’une fois pour toutes il les a conviés à venir. Il n’a pas besoin de chercher les images, comparaisons et similitudes, et l’immense magasin de la nature les lui fournit à profusion ; mais parce qu’elles sont pour lui autre chose qu’un ornement, qu’elles sont les véhicules mêmes de sa pensée. Presque pas une de ces lettres dont on ne puisse détacher quelque trait brillant. Il y en a d’exécrables : « Mon Dieu ! ma fille, que j’aime votre mauvaise jambe, car je sais bien qu’elle vous portera plus au ciel que la bonne jambe qui n’est pas une jambe, c’est un aigle pour vous faire voler en l’air de la vie spirituelle. » Il y en a dont s’effaroucherait justement le goût d’aujourd’hui, mais dont on supportait alors la rudesse : « Les tranchées et convulsions de l’enfantement spirituel ne sont pas moindres que celles du corporel. » Il y en a de proprement exquises : « Vous êtes trop sensible aux tentations. Vous aimez la foy et ne voudriez pas qu’une seule pensée vous vînt au