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Suisse, en Hollande, et était rentré en Angleterre, après avoir pris la précaution de substituer à son nom de famille le pseudonyme d’Henri Yorke, qu’il allait conserver, désormais, jusqu’au terme de sa courte et active carrière. Ses mésaventures parisiennes, d’ailleurs, avaient si peu refroidi sa ferveur jacobine que, dès son retour, il s’était affilié à un club démocratique de Derby, et y avait prononcé des discours subversifs. Un jour, devant un nombreux auditoire, il s’était écrié : « L’homme qui vous parle, tout jeune qu’il soit, a déjà collaboré à trois révolutions : il a servi la cause républicaine en Amérique, contribué à fonder la république aux Pays-Bas, et prêté son concours à la république de France ; mais il n’entend point s’en tenir là, et compte bien propager la révolution dans le monde entier ! » Cette éloquente tirade lui avait valu d’être déféré aux assises du comté d’York, et condamné, le 23 juillet 1795, à deux ans de prison. On l’avait alors enfermé au Château de Dorchester, d’où, — sans que la notice biographique que j’ai sous les yeux nous explique les motifs de cette prolongation de sa peine, — il n’avait pu sortir qu’en mars 1799. Et sa solitude forcée avait eu pour effet de bouleverser, une fois de plus, tout le système de ses convictions politiques et religieuses. Au sortir du Château de Dorchester, l’ex-terroriste s’était trouvé être quelque chose comme un « centre gauche, » un libéral patriote et conservateur, ennemi déclare de toute révolution en général, et de la révolution française en particulier. Pamphlétaire, journaliste, conférencier, il ne devait plus cesser, depuis lors, d’employer son énergie naturelle à combattre les idoles qu’il avait naguère adorées. Quand il mourut, à quarante et un ans, le 28 janvier 1813, il s’occupait encore à stimuler le sentiment national de ses compatriotes, en compilant une série populaire de Vies des Amiraux anglais.

Mais cette conversion n’avait pas été le seul effet qu’avait eu, pour lui, son emprisonnement. Pendant son séjour au Château de Dorchester, sa bonne mine, son éloquence enflammée, ses malheurs et la résignation qu’il y apportait, lui avaient gagné le cœur d’une belle et charmante jeune fille, Mlle Andrews, dont le père était commandant de la forteresse. Il y avait eu là, entre le prisonnier et la fille de son geôlier, un roman assez pareil à celui que nous a raconté Stendhal dans la seconde partie de sa Chartreuse de Parme, avec, toutefois, cette différence que le roman avait eu la fin la plus heureuse du monde. Marié en 1800 avec Mlle Andrews, tous les témoignages s’accordent à affirmer qu’Henri Yorke, au moment de sa mort, était encore