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aussi passionnément amoureux de sa femme que lorsque jadis, à travers les barreaux de sa cellule, il lui récitait des vers composés pour elle, ou lui confiait ses vastes projets de régénération européenne. Et j’imagine que c’est surtout pour distraire sa femme que, en 1802, au lendemain de la Paix d’Amiens, il aura eu l’idée de venir, avec elle, revoir ce Paris où s’était nourrie et exaltée, jadis, la fièvre romantique de sa vingtième année. Car le fait est qu’à chaque page, dans ses Lettres de France, son récit et ses descriptions nous laissent entrevoir le profil délicat de sa chère compagne : nous sentons qu’il n’a plus maintenant d’autre plaisir que de l’amuser, que souvent il s’en remet à elle de voir, de juger pour lui, et qu’il pardonne plus volontiers encore les pires crimes politiques, à ceux de ses anciens amis qu’il a l’occasion de rencontrer, que la moindre impolitesse à l’égard de « la jeune dame qui voyage avec lui. »

De retour en Angleterre, l’année suivante, Yorke avait cependant tenu à utiliser les notes et souvenirs qu’il rapportait de son voyage Ainsi étaient nées ces Lettres de France qui, sans même chercher à se donner l’aspect extérieur de véritables « lettres, » étaient simplement une suite de petits tableaux de la vie et des mœurs françaises sous le Consulat. Écrites en 1803, d’après un plan très net et suivi avec rigueur, il est sûr que Yorke les destinait à former un livre. Mais, soit qu’il n’ait pas eu le temps de les faire imprimer, soit que la nouvelle tournure des relations anglaises avec la France l’en ait dissuadé, elles sont restées inédites jusqu’après sa mort. Elles ont été publiées par sa veuve, vers 1815, dans une édition tirée à petit nombre, et, malheureusement, toute criblée de fautes qu’il est fort regrettable que lady Sykes n’ait point pris la peine de corriger, en rééditant aujourd’hui l’ouvrage posthume d’Henri Yorke. Dans l’édition de 1906 comme dans celle de 1815, presque tous les noms propres français sont déformés d’une manière qui, parfois, les rend indéchiffrables. Et, certes, nous devons être reconnaissans à lady Sykes d’avoir joint à sa réédition un long appendice, contenant « des notes biographiques sur quelques-uns des personnages mentionnés par M. Yorke : » mais pourquoi faut-il que, parmi les personnages « mentionnés par Yorke, » l’appendice ne nous parle que de ceux que nous connaissons déjà très suffisamment, depuis Barnave jusqu’à Voltaire ; et cela, tandis que lady Sykes, au bas des pages, nous renvoie constamment à l’appendice du volume, en nous promettant de nous y renseigner sur une foule de personnages moins connus, que, ensuite, elle néglige absolument d’y faire figurer ? « Voyez l’Appendice ! » nous dit-elle quand Yorke nous parle de