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sommes tellement éloignés de voir l’inspiration celtique dans ce que le poème de Tristan contient de plus féroce qu’au contraire nous prétendons la reconnaître dans ce qu’il contient de plus délicat, en même temps que de plus doux et de plus mélancolique. Et d’une manière générale, avec des nuances, nous partageons l’opinion que j’emprunte, non plus ici à un érudit, mais à un commentateur de Wagner. « Le thème très simple du désespoir amoureux qui tue… est revêtu, dans la légende bretonne, d’un caractère nouveau, il est développé avec un charme triste et doux qui n’appartient à aucune autre adaptation. L’amour y apparaît sous une forme qui lui prête quelque chose d’irréel ou d’idéal. La fatalité du sentiment n’y est pas du tout extérieure et mythologique, comme dans l’antiquité hellénique. Ce n’est pas la passion plus sensuelle que morale, chantée par l’épicurisme méridional. Ce n’est pas davantage la passion raffinée et tout intellectuelle de la poésie provençale, où l’amour est le prix d’une vertu, d’un exploit, ou d’une victoire. Dans la poésie des Bretons, ou dérivée des Bretons, l’amour est d’essence plutôt contemplative et sentimentale. C’est une sympathie véhémente de deux âmes créées pour s’aimer : à laquelle s’ajoute cette croyance toute moderne : la croyance à la toute-puissance de l’amour, à son don naturel de triompher des obstacles les plus insurmontables. » [Maurice Kufferath, Tristan et Iseult.]

Oui, telle est bien l’idée que l’on se fait de l’inspiration celtique, et telle est celle aussi que l’on se fait communément de l’originalité de Tristan. Ce qui est en question dans le « celticisme » de Tristan, c’est la conception de l’amour qui s’y trouve développée ; et si, en effet, les passions de l’amour n’ont pas en tout temps, ni surtout chez toutes les races, revêtu la même expression, c’est ce que nous cherchons quand nous nous demandons ce que Tristan contient de proprement « celtique ? » Car, encore une fois, il n’a pas été fait jusqu’ici de réponse à la question, puisqu’on ne nous a donné comme preuve du caractère celtique de la conception de l’amour que la couleur même du poème de Tristan, et que, comme on vient de le voir, cette couleur précisément n’a rien de plus celtique en son archaïsme que de français, et si l’on le veut, de roman ou de germain. Un critique allemand pouvait même dire, il n’y a pas longtemps, après avoir écarté l’hypothèse de l’origine celtique, que : « tandis que les conteurs français restaient emprisonnés dans les données