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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/162

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objections qu’on peut élever contre cette mesure dictatoriale ; il s’imagine naïvement qu’il n’y a qu’à « parler des rares vertus de Pompée, » et il en parle en quatre points : science militaire, courage, prestige, chance. C’est le même procédé, ce sont presque les mêmes thèmes qu’on retrouvera dans les Panégyriques du IVe siècle[1].

Remontons plus haut encore. Ce nom même de « Panégyrique » nous rappelle les origines grecques du genre : il doit son appellation au discours composé par Isocrate en vue d’une « panégyrie, » c’est-à-dire d’une réunion solennelle et pompeuse, et consacré à un éloge enthousiaste, mais assez banal, des services rendus par Athènes. Ce discours, par les circonstances mêmes en vue desquelles il est écrit, est forcément plus décoratif que solide. Et Isocrate, de son côté, n’est ni un homme d’Etat ni un avocat, mais simplement un rhéteur de profession, honnête homme sans expérience, sans grand sens du possible et du réel, dupe des apparences, des phrases et des souvenirs, trop absorbé d’ailleurs dans son application minutieuse aux petites finesses de son art. De par son premier inventeur, donc, comme de par sa première destination, ce genre des Panégyriques semble voué à être un genre officiel et solennel, séparé de l’action, de la réalité pratique, un genre factice où les mots usurpent souvent la place des idées, où la convention masque ta sincérité, où l’éclat est clinquant et la majesté guindée, un genre faux, somme toute, et un genre vide.

S’il est déjà tel au temps d’Isocrate, à plus forte raison le devient-il bien davantage au siècle de Constantin et de Théodose. Pour apprécier justement ce qu’ont fait les rhéteurs du IVe siècle, n’oublions pas ce qu’ils ont voulu faire, et ce qu’on leur demandait de faire ; ne les confondons pas surtout avec leurs prédécesseurs dont nous les rapprochions tout à l’heure : la situation n’est plus la même. Isocrate, en exaltant la gloire passée d’Athènes, travaillait, ou croyait travailler, au l’établissement de son hégémonie pour l’avenir ; il s’imaginait, dans sa candeur d’artiste, que tous les peuples grecs, ravis de la beauté de sa patrie, s’empresseraient de la prendre pour guide : de ce côté au moins, son œuvre recouvrait une certaine utilité. Cicéron avait un intérêt de parti à faire valoir les mérites de Pompée ou de

  1. Par exemple l’éloge de la felicitas de Dioclétien et de Maximien, dans le IIIe Panégyrique.