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Par parenthèse, ce nom biblique, The Houw of Mirth, d’où vient-il ? De l’Ecclésiaste, je suppose, où la maison de gaîté, la maison du festin est opposée en signe d’infériorité à la maison de deuil. « Le monde où l’on s’amuse » vaudrait mieux, mais outre que ce titre était déjà pris par l’auteur français du Monde où l’on s’ennuie, il eût paru trop simple à Mme Wharton dont la qualité principale n’est pas le naturel. Voyez plutôt le titre d’un autre de ses romans : La Vallée de Décision. Malgré le secours de l’épigraphe : Multitudes, multitudes in the Valley of Decision, nombre de lecteurs ne sont pas arrivés encore à en démêler clairement le sens ni surtout les rapports avec cette chronique d’une petite cour italienne vers la fin du XVIIIe siècle. Règle générale, Mme Wharton n’écrit pas pour la foule, elle n’aspire pas au succès populaire, elle garde au milieu de ses créations l’attitude d’une esthète profondément désintéressée du sujet et n’attachant de prix qu’à la forme. Si son dernier livre a eu un succès retentissant en Angleterre comme aux États-Unis, c’est qu’on y trouve la peinture piquante d’un monde dont ne se sont encore que faiblement inspirés les romanciers américains. Même Dudley Warner, dans The Golden House et That Fortune, n’avait pas su nous le montrer ; le mouvement, la verve satirique et, en général, les qualités du conteur manquaient à cet éminent essayiste. D’autres sont tombés dans la banalité de l’attaque aveugle à outrance, d’autres enfin n’ont pas osé.

Mme Wharton ose ; même aucune audace ne l’effraye ; cette dénonciation implacable de la haute vie à New-York est relevée par l’esprit incisif et pénétrant d’une femme du monde qui, comme le disait assez drôlement un de ses compatriotes, a pris, dans le procès qu’elle intente aux siens, le rôle du ministère public. Il est évident qu’elle connaît à fond ses personnages, présentés avec un peu trop d’impassibilité peut-être, car, prêche et morale à part, on aime à sentir que l’évocateur plane au-dessus des bassesses et des laideurs qu’il évoque. Sans connaître autrement que par ses livres le nouveau romancier qui a conquis si vile en Amérique le premier rang, nous lui trouvons quelque ressemblance avec un de ses héros, l’avocat Selden, espèce d’Olivier de Jalin américanisé. Selden passe une bonne partie de son temps dans l’élément qu’il méprise ; de fait, il y passe tous ses instans de loisir, mais c’est objectivement qu’il assiste au spectacle, en gardant des points de contact qui lui sont précieux