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hors de la grande cage dorée où les gens du monde semblent prisonniers comme autant de mouches dans une bouteille. Les mouches ont bien trouvé l’entrée de la bouteille, mais pour sortir, c’est une autre affaire. Le trait caractéristique de Selden, et apparemment de Mme Wharton, c’est de n’avoir jamais perdu de vue la sortie. Du reste, l’auteur de The House of Mirth appartient à l’élite qui bourdonne dans la cage dorée. Elle a le privilège de la naissance, dont on connaît tout le prix pour peu qu’on ait vu parées de leurs insignes les « filles de la Révolution. » Le nom de son grand-père le général Ebenezer Stevens est inscrit aux fastes les plus glorieux de l’Indépendance. Née dans une famille riche et distinguée, rien ne dut manquer à la formation de sa vive intelligence. Le nivellement de l’école lui fut épargné, son éducation se fit surtout à l’étranger où elle se familiarisa avec trois langues. L’Italie surtout la retint et, par la suite, l’inspira ; elle aima Gœthe en Allemagne ; en France, Balzac et Flaubert ; sans que ses interviewers nous l’eussent dit ; nous aurions deviné qu’en Angleterre une de ses prédilections était pour George Meredith. Il ne semble pas qu’elle ait écrit avant son mariage avec M. Edward Wharton de Boston, la ville dont l’atmosphère semblait s’harmoniser le mieux avec les qualités de son esprit où dominent la culture, la subtilité, la réserve. Cependant, les Wharton habitent surtout New-York, quand ils ne sont pas en Europe, et le mari de l’écrivain est plutôt un sportsman qu’un homme d’étude.

Mme Wharton devait avoir environ vingt-sept ans lorsqu’elle commença, en 1889, à publier quelques vers, début habituel de ceux qui naissent avec le don que rien ne remplace, le don de ce que nous appelons prétentieusement aujourd’hui l’écriture artiste. Il n’y a pas de meilleure prose que celle qui s’est rompue d’abord aux règles rigoureuses de la versification ; on le vit bien quand parurent successivement les nouvelles réunies depuis en volumes sous des titres divers : The greater Inclination, Crucial Instances, Sanctuary, The Touchstone, the Descent of man, etc. Chacun sait que depuis les grands romans de Hawthorne, c’est dans la nouvelle qu’ont excellé les conteurs américains. Certes, le genre n’est point méprisable, il exige une concision, une sobriété qui n’est pas à la portée de tous ; la nouvelle peut avoir, sur le roman, la supériorité du sonnet sans défaut sur un long poème ; mais il faut bien avouer que trop souvent aussi, elle se