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Et le service en question, notez-le bien, consiste à obtenir d’une famille strictement catholique, dont Mme de Treymes fait partie, son consentement à un divorce. L’amoureux de la future divorcée, — Américain de pur sang, — repousse avec horreur cette abominable transaction. Ah ! celui-là rachète en son unique personne tous les crimes de la Maison de fête ! C’est un proche parent de l’Américain qui donna son nom jadis à l’un des plus beaux romans de M. Henry James. Quelle horreur il a de cette organisation de la famille qui prépare un homme dès ses premiers jours à n’avoir d’autres convictions religieuses et politiques que celles de ses ancêtres et à taxer de vilenie, de corruption, de mauvaise foi, les croyances de quiconque ne pense pas comme lui ! L’odieuse discipline que cette discipline européenne à laquelle est sans cesse sacrifiée la vérité !

Mme Wharton ne peut rien écrire qui ne soit très distingué, mais il y a autre chose que de délicieuses descriptions de Paris et de fines comparaisons internationales dans Madame de Treymes ; il y a des renseignemens inattendus. D’abord, nous voyons combien sont exploités chez nous les Américains, non pas seulement par les fournisseurs, mais par les duchesses qui les invitent à toutes leurs ventes de charité sans pour cela entre-bâiller devant eux la porte de leur salon. Ceci ne serait rien. Ecoutez encore : si l’on s’étonne qu’une femme bien née livre le plus intime et le plus honteux secret de son cœur à un étranger, presque à première vue, l’auteur répond avec assurance : « Aucun Anglo-Saxon ne peut comprendre l’abandon complet dans la révélation de soi-même que des siècles de confessionnal ont donné aux races latines ! » On relèverait aisément plus d’une remarque de cette justesse ; aussi nous demandons-nous, après avoir lu, avec le plus vif intérêt d’ailleurs, Madame de Treymes, si The house of Mirth existe tout de bon à New-York, ou bien si elle est sortie, comme notre faubourg Saint-Germain, de l’imagination fertile de Mme Edith Wharton. N’importe, en admettant que ce soient là des contes, ils sont contés avec un bien rare talent et assaisonnés de mots heureux, un peu cherchés parfois ; mais il y en a tant que le choix est facile.


TH. BENTZON.