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plaisirs, de flirts multiples, d’humiliantes aventures, pour arriver à perdre un héritage et à n’inspirer aux hommes de toute catégorie que de la méfiance ou du mépris ! Sans parler de Tanière expérience restée au cœur de cette grande calculatrice qui se conduit, somme toute, comme une folle, faute des protections qu’ici nous exagérons peut-être, mais qui ont néanmoins leur utilité. Il n’y a que la nécessité du travail qui puisse légitimement émanciper nos jeunes filles, parce que le travail est en lui-même la meilleure des protections ; les autres perdraient non seulement le honneur comme Lily Bart, mais encore une grâce que rien ne remplace, à vouloir voler de leurs propres ailes au-dessus de bourbiers inconnus. Voici la morale que nous tirerons en France du livre de Mme Wharton ; de même que l’Angleterre, empoisonnée par le bridge, y trouvera de bons conseils à l’adresse de ses douairières et de ses jeunes gens. Quant à l’Amérique elle-même, elle est justement fière de pouvoir ajouter, à la liste de ses romanciers, le nom d’un écrivain exquis, cet écrivain surtout étant une femme : elle se réjouit en outre que les vices du petit nombre soient exposés une bonne fois avec cette cruelle franchise ; tout ce qu’elle eût souhaité, c’est qu’à l’arrière-plan de la « Maison de la Fête, » où n’entre qu’une fraction intime de la société (celle qu’elle appellerait volontiers la mauvaise compagnie) apparût la masse des honnêtes gens.

Et encore ! depuis qu’a paru dans un récent numéro du Scribner’s Magazine cette très curieuse nouvelle, Madame de Treymes, les compatriotes de l’auteur sont libres de croire qu’il ne se propose qu’un but, flétrir la dégénérescence des hautes classes dans tous les pays du monde. Ce récit, placé à Paris et qui démasque les menées souterraines, les mensonges savans de cette franc-maçonnerie à rebours que forme, au faubourg Saint-Germain surtout, notre famille française, est, pour les accusés mis en cause, plein d’instructives révélations. Non que certaines épigrammes n’aillent droit au but, mais… auriez-vous jamais supposé par exemple qu’une vraie grande dame, qui n’a du reste rien de commun avec les filles du Père Goriot, essayât de vendre son influence en échange d’un service rendu, et cela pour payer les dettes du prince d’Armillac aussi peu scrupuleux que Maxime de Trailles ? New-York ne serait donc pas le seul pays des tips ?