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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/330

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rencontre-t-on une allusion un peu ecclésiastique encore au Walhalla ethnique qui « ne sera jamais le royaume de Dieu. » C’est maintenant sur la force seule que l’auteur déclare compter pour réduire la force. Il émet une prophétie mieux inspirée que les vaticinations hasardeuses auxquelles il s’est trop complu parfois[1] : celle de l’alliance franco-russe, contrepoids de la puissance prussienne. Il est vrai que l’idée était dans l’air et que Karl Marx en particulier l’avait déjà formulée.

Assez frappante est également la palinodie qu’il inaugure dès lors en matière ethnique. Ce n’est plus dorénavant la race, mais plutôt la nation qui lui paraît devoir fournir l’unité politique de l’avenir. Très peu de pays possèdent une race vraiment pure. L’Angleterre, qui est la plus parfaite des nations, est la plus mêlée de toutes. La politique ethnographique pourrait donc devenir fatale à ses inventeurs allemands, car la féodalité germanique a régné partout sur un fond slave ou celtique. Que ses héritiers trop arrogans y prennent garde : chaque maître d’école slave était depuis longtemps un termite qui ruinait leur forteresse, chaque affirmation du germanisme appelait une contre-affirmation du slavisme. Or les Celtes gaulois vont créer à leur tour des difficultés à leurs vainqueurs. La France, affirme Renan, est sur le point de s’abandonner aux inspirations de la haine, de faire des folies dont pourraient pâtir ses voisins de l’Est eux-mêmes, de se jeter dans les bras du fanatisme clérical ou bourbonien, de devenir russe et papiste, au grand détriment de la civilisation européenne. Renan protestera sans doute, dans son for intérieur, contre de tels excès : mais il laissera faire. Que les conséquences néfastes de ces erreurs retombent sur la tête de leurs véritables auteurs, les bénéficiaires du cruel traité de Francfort ! — Hier encore, nous avons vu certains vaincus de la lutte des races menacer l’Europe, trop indifférente à leurs sommations, de déchaîner sur elle les bacilles de la peste, conservés dans des bouteilles par les savans de leurs comités directeurs. Il faut excuser ces naïves exagérations du désespoir sincère : elles témoignent, mieux que tout raisonnement de sang-froid, en faveur du besoin ardent de

  1. Voyez en particulier la Préface des Questions contemporaines : l’évêque va rester seul debout et tout-puissant au sein de la société française démantelée ; un schisme créé par l’élection simultanée de deux papes va déchirer l’Église ; les États-Unis vont être réduits pour longtemps à la médiocrité intellectuelle par leur insuffisant souci de l’enseignement supérieur, etc.