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approbations sont au contraire triomphantes. Le sentiment démocratique a repris dans son cœur la place trop longtemps usurpée par l’impérialisme germaniste.

Il avait, depuis quelques années déjà, fait amende honorable à la Révolution, pour laquelle son éducation lui avait inspiré, écrit-il, « un goût invincible, qui me la fait aimer malgré ma raison, et maigre tout le mal que j’ai dit d’elle[1]. » En 1889, accueillant M. Claretie à l’Académie française, il avoue son admiration pour les héros révolutionnaires, qu’il traita jadis de frénétiques, et parfois aussi de médiocres et de lâches. Il les admire de nouveau, sous cette réserve qu’ils ne s’avisent pas de recommencer, et qu’ils soient les derniers de leur école. L’apothéose serait un honneur trop grand pour leur mémoire : une « absoute solennelle avec panégyrique, » voilà ce qui leur convient, ajoute l’ancien élève de Saint-Sulpice qui n’a pas oublié le vocabulaire liturgique.

La conférence de 1888 à l’Alliance pour la propagation de la langue française[2] est plus explicite encore sur ce sujet. L’ancien contradicteur de Sacy et d’Augustin Thierry recherche maintenant à son tour dans notre histoire tous les prodromes de la Révolution, pour les saluer avec sympathie. « Liberté, égalité, fraternité, dit-il avec élan, c’est du français cela, et cela fera le tour du monde ! » Une réserve vient encore sous sa plume : eh ! sans doute, de la Révolution, il n’en faut pas trop : mais il est bon que partout le Français l’emporte en croupe sur sa monture, afin que la France ait son heure encore. Enfin Béranger lui-même, le grand prêtre de l’esprit gaulois, va bénéficier à son tour d’une « absoute avec panégyrique. » « J’ai médit autrefois du Dieu des bonnes gens. Mon Dieu, j’avais tort : c’est un Dieu qui n’est pas méchant, qui n’a jamais fait de mal à personne. »

En revenant à la foi révolutionnaire, Renan entend bien accepter de nouveau son dogme fondamental. Dans la Prière sur l’Acropole, il nous apprend que, sous le nom de « démocratie, » Pallas Athéné avait pour principe essentiel que tout bien vient du peuple. Il invoque donc la déesse, afin qu’elle l’appuie dans une virile résolution : « Ferme en toi, je résisterai à mes fatales conseillères, à mon scepticisme, qui me fait

  1. Souvenirs d’enfance, p. 105.
  2. Feuilles détachées, p. 255.