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quelque jour ; je l’attends avec impatience… Pour moi, je me porte bien, malgré la vie que je mène, qui est de ne point dormir du tout. Il faudra nécessairement que j’aille passer une année avec vous, pour me ranger à une vie plus raisonnable. Nous nous coucherons de bonne heure, nous jouerons tout le jour avec les petits enfans… Trêve de plaisanteries ; je serais ravie de vous voir et de vous dire qu’on ne peut vous aimer plus tendrement que je ne fais.

1er avril 1736. — Rien n’est si raisonnable que vous, ma chère sœur, et vous entendez si bien vos véritables intérêts qu’il faut que je me fasse une raison pour remettre à d’autres temps ce que je désire le plus dans ce monde. Je ne suis pas si éloignée que vous pouvez le croire de faire une partie du chemin pour vous voir. Dans deux ou trois ans, je pourrai bien me déterminer à aller à Champrond, y passer quelques années. Je m’accoutume à cette idée, et elle me fait plaisir. Je vous y verrais, et toute la petite famille. Quand mon frère sera de retour, je raisonnerai de cela avec lui. Je n’espère pas le voir avant le mois de novembre ; vous le verrez plus tôt, puisque vous allez incessamment à Champrond. Il ne m’est pas possible, pour cette fois-ci, de profiter du séjour que vous y faites. L’état de M. le duc du Maine empire tous les jours ; il ne peut aller loin, et je ne puis, dans ces circonstances, ne pas rester auprès de Mme la duchesse du Maine. Donnez-moi de vos nouvelles tout le plus que vous pourrez, et me croyez votre meilleure et plus tendre amie.

24 janvier 1739. — J’ai reçu, ma chère sœur, votre dernière lettre. Je vous remercie des offres que vous me faites, et je les accepterais avec plaisir, car j’en aurais un très sensible de pouvoir vous voir et passer ma vie avec vous ; mais je ne prévois pas que je puisse jamais faire un aussi grand voyage que celui d’Avignon. Vous n’avez pas bien entendu ce que je vous avais dit, quand vous avez jugé que j’étais dans l’embarras pour un logement ; je ne suis point dans le cas d’en chercher ; je suis fort bien logée[1]. J’aurais souhaité pouvoir augmenter mon chiffre de rentes ; l’affaire est manquée, et je n’y pense plus. Mais Mme de Luynes vient de me faire le remboursement des 27 000 livres que j’avais sur elle. L’emploi que je ferai de cette somme augmentera mes revenus, sans que les fonds soient ni perdus, ni aliénés, et je vous assure que vous pouvez avoir toute confiance en moi, sur ce qui regarde vos intérêts. Vos enfans me sont aussi chers qu’à vous et dans toute occasion je chercherai bien droitement et sincèrement à contribuer à leur bonheur et à leur fortune. Vous seriez dans une sérieuse erreur, si vous en doutiez ; je ne sais ce que c’est que les façons de penser basses et intéressées ; vous, mes frères, et moi, tout cela ne me paraît qu’un ; et si je cherche à plaire aux gens à qui nous appartenons, je ne songe qu’à vous en faire partager l’avantage ; que cela soit dit une fois pour toutes.

9 octobre 1740. — Il est vrai, ma chère sœur, qu’il y a longtemps que nous ne nous étions écrit, mais il est tout aussi vrai que nous ne nous en aimons pas moins. J’ai été deux fois cet été à la campagne de l’abbé[2]. Il

  1. Mme du Deffand demeurait alors rue de Beaune ; un peu plus tard, elle s’installa à Montrouge, dans la maison de son frère l’abbé.
  2. L’abbé de Champrond avait loué une maison de campagne à Vincennes.