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je me trouverai bien des dettes et qu’il me faudra plus d’une année pour les acquitter ; mais c’est un établissement pour la vie… Je suis au désespoir du chagrin que vous cause M. d’Aulan ; je crains que vous n’y succombiez et que vous ne deveniez malade. Vous auriez bien besoin d’avoir quelqu’un avec vous qui pût vous consoler. Je n’en laisserais le soin à personne, si j’étais à portée de vous voir ; mais, si mes lettres peuvent y contribuer, je vous promets de vous écrire souvent. J’attends ce soir M. de Formont[1], qui n’a pu arriver plus tôt, parce que le petit logement qu’il a chez moi n’était pas prêt.

25 juillet 1748. — Je suis fort dégoûtée du logement où je viens de m’établir. Il y a des choses immenses à faire pour le rendre habitable, et au bout de tout cela, il ne sera pas joli, ni commode pour les domestiques ; j’y serai très à l’étroit, je suis effrayée de ce qu’il me coûtera. Cela me donne du chagrin. La vie se passe à en avoir de tous genres, et les gens qui sont heureux par leur situation et leur fortune ont pour l’ordinaire un caractère qui les empêche d’en jouir. Mon château en Espagne, c’est que vous eussiez un appartement à Saint-Joseph, que vous y fussiez établie pour toujours et que vous prissiez soin de moi quand je sera encore un peu plus vieille. Pourquoi est-ce que cela n’arriverait pas, si toute votre famille était bien établie et que vous fussiez libre ?

23 octobre 1748. — Je vous prie, ma chère sœur, de me mander l’âge de vos filles et si la cadette est bien de figure. Mme de Luynes a été assez incommodée, mais elle se porte bien présentement. Elle se fatigue trop et, quoiqu’elle ne soit pas vieille, l’excessif mouvement l’use et l’épuisé.

Ma santé n’est pas absolument mauvaise, et je crois que le chevalier d’Aulan[2]me trouvera moins maigre. Je voudrais bien qu’il pût loger dans mon quartier ; si j’avais une chambre chez moi, je la lui donnerais, mais mon logement, qui est charmant, a le défaut d’être trop court. Peut-être l’abbé voudra-t-il le loger ; il le pourrait présentement, mais je ne sais où il est ; il y a deux mois que je n’en ai entendu parler ; je le crois à la campagne.

29 octobre 1750. — J’ai été fort alarmée ces jours-ci. Mme la duchesse du Maine a été assez malade d’un gros rhume ; j’espère qu’elle est hors d’affaire. Je mène une vie fort ambulante, je vais continuellement à Sceaux, et j’en suis un peu fatiguée. Voilà la saison où je voudrais me fixer à Paris, mais je ne le pourrai pas, tant que Mme la duchesse du Maine sera à Sceaux… J’attends que Mme du Châtelet et Voltaire soient de retour pour entamer notre affaire[3]. Je leur proposerai alors de souper avec eux, et je ferai mon possible pour obtenir ce que nous désirons. Vous avez bien fait d’écrire à Mme de Luynes ; elle est, à la vérité, médiocrement bien avec M. de Richelieu : cependant l’intérêt qu’elle marquera pourra faire quelque effet. Si mon crédit répondait à ma bonne volonté, vous vous en trouveriez bien ; mais tous les jours je m’aperçois que je ne peux rien et que les personnes

  1. Ami intime de Mme du Deffand. Ce passage nous apprend qu’il logea quelque temps chez elle à Saint-Joseph.
  2. Cousin du marquis d’Aulan, très lié avec Mme du Deffand.
  3. Il s’agissait d’une place à obtenir pour le fils de Mme d’Aulan. La décision dépendait du maréchal de Richelieu