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Regardés à l’instant qu’ils dominaient le flot,
Puis retombés dans le naufrage et la tempête
Ressurgissent, portés au hasard d’un îlot,
Dans les courans humains dont une rue est faite ;

Et je dois réfléchir alors qu’ils sont allés
Trop loin pour nos regards limités à la vie,
Que je ne puis les voir, heureux ou consolés,
Qu’une forme jamais aux tombes n’est ravie ;

Pourtant quelque reflet venu des cieux cachés,
Des soleils disparus, des étoiles absentes,
Ne peut-il subsister des morts, vite arrachés
A l’ombre immense où s’élaborent leurs attentes ?


L’ONDEE


L’ondée : au ciel serein, un nuage qui court
Et recouvre bientôt le soleil invisible ;
Puis l’eau jetée à flots comme sur une cible,
Et le crépitement des gouttes tour à tour.

Voile sur l’horizon, et réseau sur le fleuve
Dont le courant semble piqué de mille dards
L’air boit en s’agitant sur les routes épars,
Silencieusement le sol fume et s’abreuve.

Le déluge et la nuit aux âmes sont présens,
Un crépuscule hâtif élargit le mystère,
On ne reconnaît plus ni le ciel ni la terre,
L’ancien monde est peut-être au terme de ses ans.

Le vol d’un pigeon blanc ajoute à la légende,
Il se débat, perdu dans le nuage noir,
Cherchant l’abri, le toit à rebords du manoir,
Mais le vent le rejette et sa détresse est grande !