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lui-même et de rompre avec la routine, M. Ferrero ne résiste pas toujours à la tentation de prendre le contre-pied de l’opinion courante, et de se mettre en opposition avec les historiens qui l’ont précédé. Mommsen, qui admirait César, résumait ainsi son opinion sur lui : « César fut certainement un grand orateur, un grand écrivain et un grand capitaine, mais il ne devint tout cela que parce qu’il était un parfait homme d’État. » M. Ferrero prendra plaisir à nous faire remarquer que son opinion est précisément à l’opposé : « Dans la politique romaine, César put devenir un grand général, un grand écrivain, un grand personnage, mais non un grand homme d’État. » S’il rabaisse César qui jouit d’une réputation assez bien établie, en revanche il élève Pompée assez maltraité par l’histoire : « Ce n’était pas un petit esprit, comme se sont plu à le dire plusieurs historiens modernes, mais un grand seigneur intelligent qui avait tous les défauts et toutes les qualités de la vieille noblesse et à qui son époque et les circonstances finirent par imposer une tâche au-dessus de ses forces… Toutefois la part qu’il eut dans l’histoire de Rome ne peut être oubliée : il annexa au territoire romain la patrie de Jésus dont la conquête eut par ses résultats, comme celle de la Gaule, la plus grande importance. » De même encore il s’inscrira en faux contre l’opinion assez dédaigneuse que beaucoup professent au sujet de la politique de Cicéron : « Les historiens d’aujourd’hui ont à coup sûr beau jeu, quand ils s’appliquent à nous montrer les faiblesses, les hésitations et les contradictions de Cicéron… Il y a cependant autre chose à voir dans Cicéron et dans le rôle historique qu’il a joué… Il fut le premier homme d’État appartenant à la classe des intellectuels, et par conséquent le chef d’une dynastie aussi corrompue, vicieuse et malfaisante que l’on voudra, mais dont l’historien, même s’il la déteste, doit reconnaître qu’elle a duré plus longtemps que celle des Césars, car, depuis Cicéron jusqu’à nous, elle n’a jamais cessé de dominer l’Europe pendant vingt siècles. » La fuite des galères égyptiennes qui décida du sort de la bataille d’Actium, au lieu d’être une désertion, est une manœuvre combinée d’avance avec Antoine. Auguste, dont on fait volontiers le continuateur de César et l’exécuteur de son programme, tente une entreprise toute nouvelle qui est de gouverner avec l’ancienne aristocratie reconstituée, etc. Quelle que puisse être, d’ailleurs, la part de vérité qu’enferment ces opinions, nous nous demandons si elles ne procèdent pas de quelque parti pris, et si l’écrivain ne jouit pas à part lui de l’étonnement qu’elles causeront à son lecteur.