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monde que la conscience d’avoir contribué à les rendre heureux ? Et puis, au reste, en échange de ses services, dûment rémunérés, ne lui a-t-on point prodigué les petites attentions et les petits cadeaux ; et le brave homme n’a-t-il pas juré, parmi ses larmes, au moment des adieux, que jamais il ne manquerait à prier pour ses bienfaiteurs ? Il ne me paraît point douteux que, depuis le roi de Bavière jusqu’à Guillaume II, tous les maîtres qu’a servis le prince de Hohenlohe se sont séparés de lui « sans aucune aigreur, » bien certains de lui avoir laissé d’eux un souvenir mêlé de respect et de reconnaissance. Ils n’ont vu en lui que le fonctionnaire, — qu’il était, en effet, au plus haut degré ; — et, l’ayant traité comme tel aussi affectueusement que possible, l’idée ne leur est point venue qu’il ait pu avoir le moindre motif de se plaindre d’eux. Mais, sous ce fonctionnaire qu’ils estimaient justement, il y avait un autre homme, qu’ils n’ont jamais pris la peine de découvrir et de ménager : un homme que chacune de leurs marques de condescendance risquait, plus ou moins, de blesser, et qui, de même qu’ils ne pouvaient s’empêcher d’agir avec lui comme ils agissaient, ne pouvait, lui, s’empêcher de souffrir de leurs actes, et de s’en « aigrir. »

Sous le diplomate, l’administrateur, le confident qu’ils connaissaient, il y avait quelque chose comme un parent pauvre, un prince dépossédé qui n’oubliait pas que sa race était, au moins, l’égale de la leur. A la façon dont Hohenlohe parle, une fois ou deux, des « médiatisés, » nous devinons la très haute opinion qu’il se faisait de leurs droits. Il avait beau promettre de « renoncer à son rang, » pour « ne se considérer que comme un fonctionnaire, » la vérité est que jamais il n’a pu y renoncer, ni ne l’a voulu. Une des grandes souffrances de la seconde moitié de sa vie lui est venue, précisément, de se voir traité en simple « fonctionnaire civil » par les « cadets » prussiens, et par toute l’espèce de ces « militaires » qu’il avait presque fini par associer avec les Jésuites, dans une même haine. « Le libéralisme de l’Allemagne du Sud, écrivait-il en 1898, n’est pas de taille contre les cadets. Ceux-ci sont trop nombreux, trop puissans : ils ont de leur côté l’armée et le trône. » Et ainsi il se trouve que toute sa carrière, lorsqu’on l’étudie du dedans, apparaît comme une longue suite de froissemens et d’humiliations, depuis le jour où le roi Louis II, en 1866, l’a appelé au ministère « parce qu’il le croyait wagnérien » jusqu’au jour où, en 1900, l’empereur Guillaume II lui a laissé entendre « qu’un changement dans la personne de son chancelier ne lui déplairait pas. » Conséquence fatale de ce jeu de la destinée qui s’était plu