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l’honnête Tommaso Tommasi n’y trouvera qu’un « monstre. » Au moment de commencer sa Vie du duc de Valentinois, gêné par plusieurs traits de son sujet, il éprouve en quelque sorte le besoin de s’excuser auprès du lecteur : mais, gêné aussi par « la révérence due aux saintes clefs, » il le fait d’abord dans des termes dont la solennité précieuse ne laisse pas que d’être assez comique :


La nature, écrit-il, a accoustumé de diviser, dans la production des monstres qui naissent dans l’Afrique, la difformité qu’enttrainent après eux les illicites acoouplemens des animaux, pour rendre détestables à jamais au monde les excès d’une sensualité déreiglée, que la prudence humaine a tâché de pallier sous le nom d’enfantement d’amour, en ce que, faisant voir dans les effets qui proviennent de ces estranges accouplemens une ressemblance de deux causes dissemblables, qui ont concouru à leur donner le jour, elle descouvre deux bestes sauvages en une, et fait voir sous cette forme difforme la brutalité de cette sensuelle fureur, qui renverse les loix de la génération. Celuy de qui j’entreprends de descrire la vie fut (selon qu’on le pourra voir dans la suite de cette histoire) une beste cruelle, qu’on peut appeller, sans craindre de se tromper beaucoup, africaine, qui n’a pas esté engendrée d’un pur sang humain, mais qui est sortie, ainsi que le remarque très bien un historien, d’une semence exécrable et pleine de venin : ainsi ce n’est pas une merveille s’il paroist comme un monstre de cruauté, et s’il vient par des voyes injustes dans le monde, puisqu’il est la production d’une illégitime conjonction ; de sorte que, s’il représente en luy la véritable image de ses parens, il ne sçauroit estre qu’un monstre incomparablement plus difforme que tous ceux qu’on sçauroit s’imaginer.


Et si, perdant le respect, Tommaso Tommasi essaie d’expliquer par ses hérédités le fils de Rodrigue Borgia et de la Vannozza, c’est encore et seulement le « monstre » qu’il explique :


Comme le père estoit nay dans Valence d’une famille considérable, il participoit, à raison du voysinage, entre les autres qualités d’Espagnol, à celles des Catalans, qu’on estime si fort : et la mère, qui estoit sortie de parens d’une médiocre condition de Rome, n’avoit pas seulement les inclinations italiennes ; mais mesme très particulièrement les romaines. Celuy-là s’en alla dans la cour, afin de perfectionner ses qualités naturelles par les artifices qui sont le plus en usage auprès des grands. Celle-cy, laquelle avoit succé avec le lait un certain naturel qui comme en héritage descendoit de ses ancestres, estoit parvenue par un long usage à un tel degré de sçavoir commander à ceux qui luy plaisoient par les artifices des courtisanes, qu’elle y estoit parfaite. Celuy-là estoit un perfide, un cruel, et un loup ravissant, mais qui sçavoit s’insinuer néantmoins dans les bonnes grâces d’autruy par ses adresses et ses ruses. Celle-cy faisoit bien voir qu’elle estoit une harpie insatiable ; mais elle ne faisoit pas connoistre aux gens