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aux favorites, ou ils n’ont cherché à obtenir, par l’intermédiaire des favorites, que ce qu’ils ont cru qu’on ne pouvait obtenir que par elles, et des sympathies telles qu’ils en attendaient du lieutenant de police, par exemple, ou du directeur de la librairie, ils leur ont d’ailleurs aisément persuadé que, si quelques… déboires étaient inséparables de la situation de favorite ou de maîtresse déclarée, sans doute c’était le « préjugé mondain, » mais c’était surtout le « préjugé religieux » qu’il en fallait accuser. Mme de Pompadour avait vingt bonnes raisons de préférer la morale de Diderot à la « morale des Jésuites. » Avec encore plus d’apparence qu’au Roi même, c’était à ces reines de la main gauche qu’on pouvait dire que leur pouvoir, dans les affaires, à la Cour, sur l’esprit du Roi, s’accroissait de tout ce que perdait l’autorité de l’Eglise. Et voilà pourquoi nous eussions aimé que ces deux chapitres n’en fissent qu’un seul, parce qu’au fond, ils n’en sont bien qu’un, et la preuve en est que de tout le livre de M. Roustan ce chapitre des Favorites est le seul dont on puisse dire qu’avec ses anecdotes si souvent racontées, il n’est pas tout à fait exempt de « remplissage. »

Si nous voulons apprécier équitablement les relations des « philosophes » avec le pouvoir, il nous faut donc écarter les lieux communs auxquels nous recourons quelquefois encore. Pour avoir fait quelques madrigaux en l’honneur des « favorites, » ou même les avoir félicitées de leur « avènement, » Voltaire n’en est pas pour cela plus méprisable ; et il faut savoir gré à Rousseau d’avoir préféré « la femme d’un charbonnier » à la « maîtresse d’un prince, » mais la malpropre aventure des Charmettes n’en est pas pour cela moins odieuse. J’en veux bien plus à Marmontel d’avoir écrit Bélisaire que d’avoir fait sa fortune par la protection de Mme de Pompadour. Celui-ci, au surplus, avait le « goût des femmes, » et, pour en tirer quelque chose, pas n’était besoin qu’elles fussent « favorites. » Il n’est plus temps non plus de nous attarder à souligner les contradictions qui abondent entre la vraie pensée des « philosophes » sur les personnes ou sur les choses, d’une part, et de l’autre, les flatteries dont ils ont accablé le Roi, les favorites, les gens en place les grands seigneurs, les hauts financiers. Ce n’était pas alors des nouveautés ! Mais ce qui importe, c’est de bien voir quelle a été leur tactique, et dans quelle mesure elle leur a réussi. N’oublions pas les droits de la morale, et au besoin