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part, elles aboutissaient toujours à des « décisions » très effectives ; et d’un autre côté, si l’on avait cru devoir établir une « direction de la Librairie, » ce n’était pas sans doute pour favoriser une « littérature d’opposition. » Cependant, dès ses débuts. Malesherbes, magistrat lettré, prit les intérêts non seulement des « gens de lettres » mais même des « philosophes, » et, en deux occasions mémorables, en 1757, lors de la suppression définitive de l’Encyclopédie par arrêt du Conseil, et en 1762, lors des poursuites exercées par le Parlement contre l’Emile, on le vit se ranger du côté des encyclopédistes et de Rousseau. Crut-il d’ailleurs en agissant ainsi trahir la cause et faire échec au pouvoir qu’il représentait comme directeur de la Librairie ? Pas le moins du monde ! Mais, il se faisait, sous l’ancien régime, et en raison même de la structure de la société, des « accommodemens » et des « compromis, » qui ressemblaient beaucoup à ces combinazioni que nous croyons, ou que nous feignons de croire spécifiquement italiennes. Et, tout simplement, pour Malesherbes, dans l’une et l’autre affaire, il n’y avait qu’un « malentendu, » dont le temps finirait toujours par avoir raison ; et, son devoir, à lui, qui regrettait ce « malentendu, » était donc d’en prévenir ou d’en empêcher les suites les plus fâcheuses, en ménageant la possibilité de l’entente future. Puisque l’on se réconcilierait, il ne fallait rien mettre entre soi d’ « irréparable, » et, ce raisonnement qui nous explique si bien la politique du directeur de la Librairie, nous expliquerait également celle des « gens en place » à l’égard des philosophes.

Mais allons plus loin, et disons que c’est l’attitude personnelle du prince lui-même, et celle de son conseil, Mme de Pompadour, qui s’explique par les mêmes considérations. Il y a d’autres motifs, assurément, pour expliquer celle de Mme de Pompadour. Antoinette Poisson n’est qu’une bourgeoise, et tous ces « philosophes » sont des bourgeois comme elle, dont on pourrait presque dire, en vérité, qu’ils sont entrés avec elle à la Cour. C’est eux du moins, c’est la façon dont ils parlent d’elle dans leurs écrits, c’est l’opinion telle qu’ils la font, qui la maintient et qui la soutient dans sa « situation. » C’est eux qui ne lui souffriront pas désormais de rivale dans une « grande clame ; » elle a conquis « la place ; » et ce qu’il faudra faire pour qu’elle la conserve, ils le feront. Elle le sait, elle le sent, elle l’éprouve quotidiennement. Ses ennemis sont les leurs, à commencer par les Jésuites et pour