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quelque puissance, du moment qu’elle avait commencé de s’y intéresser, a dû favoriser la propagande philosophique, ce sont les « salons. » Mélange des sexes et des conditions ; gens de la Cour et gens de la Ville, qui ne sont pas les mêmes ni de la même espèce, — Fontenelle, par exemple, et Marivaux n’ont jamais été « de la Cour ; » — peintres et sculpteurs, qui font alors leur première entrée dans le monde ; mathématiciens et physiciens ; grandes dames, actrices en vogue, étrangers de marque, — ou tout simplement de passage ; — hommes d’affaires, fermiers généraux, militaires et magistrats, ecclésiastiques au besoin, personne donc aujourd’hui n’ignore que, de 1715, ou environ, à 1800, la société française ne s’est nulle part mieux « résumée, » que dans un salon tel que celui de Mme de Lambert ou de Mme Geoffrin. C’est de là, de l’hôtel de Nevers, ou du « royaume de la rue Saint-Honoré, » que tous les soirs, durant soixante-quinze ou quatre-vingts ans, de ces « salons » où l’on respire la joie de vivre, et où se mêle à toutes les jouissances du luxe le plaisir de la libre conversation, c’est de là que s’envolent, pour se répandre à travers la ville, les « bons mois, » les anecdotes, les historiettes, les « idées » qui ne sont pas encore, si l’on le veut, la « philosophie, » mais qui préparent les esprits à la recevoir, et qui excitent, en attendant qu’à leur tour ils deviennent les hôtes de ces mêmes « salons, » l’émulation des Duclos et des Diderot au café Procope ou au café Gradot. Je ne connais pas de plus éloquent témoignage ou de plus vivante illustration de la manière dont les idées se « propagent. » Et il n’importe pas ici, pour le moment du moins, de savoir si en se propageant elles s’altèrent. On peut s’en tenir pour assuré. Les idées s’altèrent en se propageant. Mais ce que nous voulons constater uniquement ici, c’est le fait de leur « propagation » ou de leur « communication. » Si l’on veut, après cela, chercher plus avant, on trouvera que l’un des moyens les plus efficaces de cette « propagation » a été de mettre les hommes en rapport les uns avec les autres, — ce qui est l’objet même des « salons, » — et ainsi de convertira l’agrément des personnes ceux que risquait d’effaroucher l’intransigeance des doctrines. Les Jean-Jacques et les Diderot, et leurs moindres disciples à plus forte raison, un Marmontel ou un Morellet, étaient des hommes « comme les autres, » qui, « comme les autres » après tout, ne demandaient qu’à jouir de la vie ; qui ne s’embarrassaient pas