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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/666

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documens minutieusement contrôlés et d’une quantité de textes, précieux et souvent inédits, le livre, que M. André a récemment publié, paraît avoir épuisé le sujet, si vaste et si complexe, auquel s’est appliquée sa laborieuse persévérance.

En vain, au surplus, prétendrait-on que l’auteur de ce travail retire à Louvois ce qu’il restitue légitimement à Le Tellier ; presque toujours une telle assertion serait erronée. Ce que Louvois gardera en propre, c’est l’incontestable honneur d’avoir porté à sa perfection l’organisation de l’armée monarchique. Lorsque, à l’âge de cinquante-deux ans, Louvois, par une mort soudaine, qui parut mystérieuse à ses contemporains, mais dont la cause a depuis lors été nettement éclaircie[1], fut enlevé à son accablant labeur, il avait eu le temps de montrer en leur plein relief non pas seulement ses incomparables qualités d’administrateur, mais encore cette ténacité infatigable et violente qui, au nom de l’omnipotence royale, alors à son apogée, réussissait, dès qu’il l’avait résolu, à briser tous les obstacles. A de semblables résistances, moins aisément aperçues des contemporains, mais, dans la réalité, plus malaisées à vaincre, s’était aussi heurté Michel Le Tellier. Quelque ferme, cependant, que fût sa volonté, au fond non moins opiniâtre que devait l’être celle de son fils, Le Tellier était un politique qui, passé maître dans la connaissance des hommes et des temps, était par là même singulièrement expert « des moyens les plus sûrs pour éviter les inconvéniens dont les grandes entreprises sont environnées. » Ne disposant, par suite du désarroi qui avait suivi la mort de Louis XIII et qui dura longtemps, que d’une autorité et d’une force infiniment réduites, et devant compter avec des difficultés sans cesse renaissantes, il ne se dissimula point qu’il ne parviendrait à les surmonter que par l’assidue pratique de cette temporisation, patiente et avisée, chère à Mazarin, longtemps son protecteur, et jusqu’à la fin son maître et son modèle.

Ce n’est donc pas diminuer les mérites et les services de Louvois que de rappeler ce qu’il dut à son père, c’est les replacer dans leur vrai et juste cadre. Serait-il, en effet, une plus

  1. Malgré cette assertion de Saint-Simon « qu’on sut par l’ouverture du corps de Louvois qu’il avait été empoisonné, » il est scientifiquement établi que le ministre de Louis XIV mourut d’une apoplexie pulmonaire. Cf. Le Roi, Curiosités historiques, etc.