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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/673

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son style sobre et précis, de nombreuses et fécondes initiatives. Il y rétablit très vite le bon ordre et la discipline, en rendant, par le versement d’une solde régulièrement payée, la vie plus facile aux soldats qu’il ne laisse plus marauder, et aux habitans dont il réprime et punit sévèrement tout acte de résistance et de mauvaise volonté, mais qu’il s’applique aussi à ménager plus encore par politique que par humanité. Ce qui est vrai, c’est que Le Tellier, avant tout, visait à faire son devoir, lequel était, à ses yeux, de « s’avancer » en servant bien le Roi.

En tous cas, lorsque les soldats de cette armée de Piémont, jusqu’alors privés de tout ou à peu près, se crurent certains de recevoir, en temps voulu, non pas seulement « leurs montres, » c’est-à-dire leur solde, mais aussi des vivres, des vêtemens, des armes, ils n’eurent plus prétexte à des plaintes et à des récriminations. Quant aux chefs, dont il qualifiait de « parties d’apothicaire, n’ayant d’autre but que de faire monter bien haut la dépense, » les comptes presque toujours exagérés, et souvent frauduleux, Le Tellier exigea d’eux, en remettant dans toute leur vigueur les ordonnances de Richelieu, des pièces comptables rigoureusement établies ; il leur interdit aussi, sous les peines les plus sévères, d’engager et de payer, sans ordres préalables, quelque dépense que ce fût. Il y tint la main d’autant plus que, fort au courant de l’embarras des finances royales, il savait que ce serait une bonne note de leur demander le moins possible. Il lui arriva même, à cet égard, de ne point pécher par excès de scrupule, ainsi que suffirait à le prouver la lettre suivante adressée à Mazarin, et qui montre que, chez Le Tellier, comme plus tard chez Louvois, le bon administrateur se gardait bien de faire tort au courtisan : « Si l’armée, écrit-il, est payée encore d’une montre, notre fonds sera vite épuisé. Elle en a reçu une au commencement du mois passé ; on va la mettre en quartier où elle recevra du pays fort grassement ce qu’il lui faut ; jugez, s’il vous plaît, si cet argent ne serait pas mieux employé à quelque autre dépense (que la solde des troupes), dont je me découvre à vous, croyant que vous ne me décèlerez pas, quelque jugement que vous en fassiez ; je n’en écris qu’à vous seul. » De tels procédés, d’ailleurs, n’étaient guère habituels à Le Tellier, et, y avait-il recours, il se couvrait de l’intérêt du roi qu’il était censé défendre. Très heureusement, cet intérêt, le plus souvent, lui apparaissait sous un autre jour. C’est parce qu’il en fut ainsi que son