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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/686

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contre-partie de ce dicton était celle-ci : « Pas de Suisses, pas d’argent. » Le Roi n’entendait payer que pour les présens, et d’après un contrôle, souvent répété, que Richelieu, puis Le Tellier rendirent sévère à l’égard de ces mercenaires : « Je ne voy pas, écrit Le Tellier, en février 1650, qu’on puisse fixer l’esprit de ces gens-là, qui change selon la qualité du vin qu’ils boivent chaque jour. » Longtemps, cependant, il fallut plus ou moins subir leurs exigences ; mais, dès que le permirent les circonstances devenues plus propices, Le Tellier réussit à faire accepter par les Suisses la signature de nouvelles capitulations, — ainsi nommait-on les traités conclus avec eux, — leur imposant des obligations plus strictes et plus nombreuses. Bien plus, aussitôt après le traité des Pyrénées, quand la paix fut assurée, la Fronde définitivement terminée, le Roi redevenu le maître, — et quel maître ! — Le Tellier s’empressa de liquider, hormis les Suisses, désormais très soumis aux décisions royales, la plupart des corps étrangers. Il les remplaça par une augmentation du nombre des régimens français, qu’il s’employa assidûment à doter d’une organisation plus forte, en développant chez eux, par une amélioration de leurs conditions d’existence, sinon leur courage, du moins leur bonne tenue, leur consistance, leur solidité. En un mot, ce fut sur le recrutement français que se fixa plus que jamais la vigilante attention de Le Tellier.

Alors qu’il y avait une noblesse militaire, qui était censée payer de son sang, — ce qu’elle fit souvent et brillamment, d’ailleurs, — le maintien de ses privilèges, il n’était guère facile de changer le mode de recrutement qui fonctionnait en France depuis la création de l’armée permanente sous Charles VII. Ce système, c’était celui de l’enrôlement effectué par des recruteurs agissant au nom du Roi. Le jugement suivant, rendu en 1656, au siège de la connétablie de Paris, et qui en résume beaucoup d’autres du même genre, suffirait à rappeler de quelle façon se pratiquait cet enrôlement soi-disant volontaire : « Sur ce qui a esté remontré par le procureur du Roy que plusieurs capitaines, lieutenans et autres officiers de guerre, pour faire plus facilement la levée ou recrues de leurs compagnies, composent et font des traitez avec aucuns exempts, archers ou autres personnes pour leur livrer des hommes, au lieu de faire battre le tambour (on battait le tambour pour appeler ceux qui étaient dans l’intention de s’engager, d’après des offres faites et des