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deuxième est la rapidité de l’exécution. Cette extrême rapidité, il n’est aucune considération qu’il n’y sacrifie. Encore qu’il tienne à « se faire bien voir de ses hommes, » il les met à son pas et les mène de son train. Une troisième caractéristique est l’ordre, qui naturellement concourt à la rapidité ; à ce point que l’évêque de Volterra, faisant le total, inscrit à l’actif du duc : « le grand secret, le grand ordre, la grande célérité, et les forces qu’il a déjà dites. »

Comme tous les Espagnols, ou presque tous, — et Guichardin relèvera avec soin qu’il est en effet plus Espagnol qu’Italien, — César est éloquent ; c’est un beau parleur. Il parle longtemps : parfois plus de deux heures. Et il parle bien : « Il argumentait avec tant de raisons… parce que de l’esprit et de la langue, il se sert autant qu’il veut… » Le plus admirable est que, si éloquent, il sache se taire ; que, parlant si longtemps et si bien, il ne parle pas trop ; et que jamais sa parole ne l’entraîne hors de la direction de son dessein ni du chemin de sa volonté. Il n’en dévie pas, n’en dérive pas, reste ferme comme un roc sous le flot de phrases dont il se couvre et dont il inonde son auditeur. Il y a, en César, du « dandy, » si ce mot par trop moderne ne jure pas ici, ou de l’esthète, et j’ai souvent songé, en l’étudiant, au héros accompli, au merveilleux sujet qu’il ferait pour tel écrivain de notre temps. Il est élégant, coquet, raffiné et somptueux, prenant un soin extrême de sa parure et un extrême souci de sa figure. Parce que, dans une partie de chasse, il s’est fait une égratignure au visage, il rentre la nuit, ne se lève que le soir, et remet à plus tard l’audience de Soderini. Au reste, — nous l’avons déjà noté et tous les historiens soulignent ce détail, — il ne reçoit guère que la nuit. Peut-être n’est-ce pas seulement, comme l’insinue Paul Jove, pour cacher les boutons rouges et suintans dont sa face est tachée, ni pour éteindre le feu scintillant de son regard louche, aigu et « vipérin. » Couché quand les autres sont debout, debout quand les autres sont couchés, renversant les habitudes de la vie, ayant fait de la nuit le jour et du jour la nuit, il est ainsi moins abordable, se défend mieux des importuns, vit davantage dans l’atmosphère obscure et sourde dont il aime à s’envelopper. Il se peut que Paul Jove, trop préoccupé de la correspondance entre l’être physique et l’être moral, ait fait de César plutôt une caricature, — les témoins ne manquent pas qui en font au contraire un