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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/699

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chirurgiens et des apothicaires pour soigner et secourir de médicamens ceux qui en auroient besoin. »

Mais combien souvent l’ordonnance de Richelieu, inspirée à la fois par le plus louable sentiment d’humanité et par l’intérêt bien entendu de l’armée, resta-t-elle lettre morte ! Pour en faire une réalité, il fallut l’admirable mouvement de charité qui se produisit dans le monde, à la vue des misères de la guerre de Trente ans et sous l’influence bienfaisante de Vincent de Paul, de Port-Royal, des associations charitables qui se multiplieront alors, de tous côtés, avec la plus généreuse ardeur, dans tous les rangs de la société française[1].

On doit rendre à le Tellier et aussi à Mazarin cette justice qu’à ce grand élan de la charité publique ils ne demeureront pas étrangers et qu’ils semblent s’être beaucoup préoccupés de l’extrême misère causée dans les campagnes et dans les armées par la prolongation d’une guerre qui paraissait sans fin. Mais, malgré toute la pitié qu’ils expriment « pour les pauvres blessez » et les sommes, absolument insuffisantes, d’ailleurs, qu’ils envoient pour prendre deux « tout le soin qu’il se pourra, » ce lugubre tableau tracé alors par un témoin oculaire restait presque toujours vrai : « Le désordre est horrible dans notre armée ; il n’y a point d’hôpital et, quand un soldat est blessé, on le met dans une grange où l’on le laisse mourir comme un chien. »

Toutes ces misères dont il avait été le témoin et que, malgré ses efforts, il n’avait pu efficacement secourir, demeurèrent présentes à l’esprit de Le Tellier, et, aussitôt qu’il eut les coudées plus franches et que l’état du trésor royal le lui permit, il apporta des soins persistans à l’organisation d’un service, en quelque sorte permanent « pour le secours des malades et de ceux qui seront blessez. » A cet égard, il ne cessa d’avoir la haute approbation du Roi. Il convient de le noter à l’honneur de Louis XIV. Dans ses lettres il parle toujours de ce devoir en termes élevés, presque chaleureux, tels que ceux-ci : « Il faut assister les blessés avec des soins extraordinaires, les voir de ma part et leur témoigner que je les compatis fort… » Non seulement, comme le Roi lui-même, Le Tellier obéissait à une pensée charitable, mais aussi il estimait avec raison qu’une armée sans bons

  1. Voyez notamment Alph, Feillet, la Misère au temps de la Fronde et Saint Vincent de Paul.