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La plus grande épreuve pour lui fut, il y a deux ans, après une série de conférences retentissantes, la perte de sa voix, de cet organe sonore qui remplissait les vaisseaux les plus vastes et faisait vibrer les auditoires les plus nombreux.

Il supporta ces afflictions avec une patience qui eût été stoïque, si elle n’eût été chrétienne.

Jamais il ne connut le découragement ni la lassitude. Jamais il n’aspira au repos. Le mal l’enleva, sans le terrasser.

Il y a quelques semaines encore, il écrivait cet article sur Les Philosophes et la Société française qu’a publié la dernière livraison de la Revue. La composition de la livraison présente a été ordonnée par lui quand déjà il avait un pied dans la tombe.

Il ne se bornait pas à ses travaux personnels ; il suscitait, groupait, encourageait, dirigeait de jeunes écrivains. Il les animait de sa foi ; il leur fournissait, avec les conseils de son expérience, l’aide de son inépuisable érudition. Il s’occupait en même temps, avec une conscience inlassable et un soin vigilant, de tous les détails matériels, nombreux et minutieux, qui se rattachent à la publication de la Revue.

Nous devions à Ferdinand Brunetière ce tribut d’admiration et de respect. Il fut l’une des figures les plus originales de ce temps. Si l’on ne craignait d’employer à son sujet un mot dont il a vivement condamné l’abus, nous dirions qu’il fut un pur et grand intellectuel, dégagé de toutes les préoccupations secondaires, affranchi de toute servitude, de toute concession à la mode, aux opinions régnantes, aux préjugés tyranniques.

Il laisse un des plus nobles exemples de labeur opiniâtre, d’austère indépendance, d’élévation et de dignité de vie ; ces hautes qualités morales font encore ressortir davantage ses merveilleux talens.


PAUL LEROY-BEAULIEU,

Président du Conseil de Surveillance de la Revue des Deux Mondes.