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inventeurs ; ils n’ont presque rien imaginé d’eux-mêmes. Mais ils ont eu le mérite de comprendre les inventions des autres, de se les approprier dans la mesure où elles pouvaient leur convenir, et quelquefois même de les perfectionner. Surtout ils n’ont jamais eu la petitesse d’esprit de dissimuler leurs emprunts ; ils les avouent sans fausse honte, sans jalousie, et disent de qui ils les tiennent. C’est ainsi que Cicéron n’hésite pas à reconnaître que « l’humanité a été transmise aux Romains par la Grèce, et de là s’est répandue dans le monde entier[1]. » Il en résulte que son histoire se confond avec celle de l’introduction et des progrès de l’hellénisme à Rome.

Cette histoire serait fort importante à faire, car c’est de ce mélange de la Grèce et de Rome que la civilisation du monde moderne, celle dont nous vivons, est sortie. Malheureusement elle est fort obscure ; comme le rapprochement entre les deux peuples s’est opéré peu à peu et sans bruit, par une sorte d’évolution lente et continue, les contemporains ne paraissent pas s’en être beaucoup aperçus. Les annalistes n’en ont pas mentionné les effets, qui ne les frappaient pas autant qu’une ville prise ou une victoire remportée ; on est donc très souvent, quand on veut les savoir, réduit à des conjectures.

Il n’y a pas de doute que les Grecs et les Latins, qui sont issus de la même race, ne se soient rencontrés et fréquentés de bonne heure. Les Latins ne quittaient guère leur pays ; mais les Grecs, qui ont toujours été d’intrépides voyageurs, les allaient trouver. Ils leur apportaient leurs marchandises, dont quelques-unes existent encore au fond des plus anciens tombeaux, et, comme ils étaient beaux parleurs, ils leur faisaient de longs récits, que leurs auditeurs, naïfs et curieux, écoutaient avec avidité et n’oubliaient pas. Avec le temps, les rapports devinrent plus faciles et plus intimes. L’Etrurie, qui s’était très vite pénétrée de la civilisation hellénique, la communiquait facilement au-delà du Tibre. Dans l’Italie méridionale, une Grèce nouvelle avait pris naissance, presque aussi belle que l’ancienne, pleine de jeunesse et de vie. Les Romains, quand ils eurent vaincu les Samnites, se trouvèrent être les voisins de la Grande-Grèce ; ils n’avaient que la frontière à passer pour visiter Tarente, Sybaris, Crotone, Métaponte, pour voir dans leur jeunesse et leur

  1. Cicéron. Pro Flacco, 62.