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intégrité ces beaux monumens, dont nous n’avons plus que les ruines, pour assister aux fêtes qui se donnaient toute l’année suites places publiques ou dans les théâtres, pour ressentir l’enchantement de cette vie aimable et facile. Ils devaient en revenir émerveillés, et l’on comprend qu’à leur retour ils aient cherché à introduire chez eux, autant qu’ils le pouvaient, ce qu’ils venaient d’admirer ailleurs. On nous dit qu’ils y réussirent d’assez bonne heure. « Ce fut, dit Cicéron, non pas seulement un petit ruisseau, mais tout un large (louve d’idées et de connaissances, qui de la Grèce coula dans Rome à pleins bords[1]. »

On peut soupçonner que l’admiration des Romains a été d’abord éveillée par les œuvres de l’art grec : il leur était en effet plus facile de comprendre du premier coup la beauté d’un édifice ou l’agrément d’une statue, que de se rendre compte des qualités d’un poème. Quand on regarde, au Vatican, la tombe de Scipion Barbalus, on est très surpris de voir que l’inscription est écrite dans un langage qui nous paraît barbare, tandis qu’elle est surmontée d’une frise élégante qu’on croirait être d’un âge plus récent. Ce contraste, dont on ne peut s’empêcher d’être frappé, semble bien indiquer que, chez les Romains, le goût des arts avait devancé le sens littéraire. Quoi qu’il en soit, la littérature eut bientôt son tour, et elle ne paraît pas y avoir été moins bien accueillie. Le même poète, en quelques années, initia successivement les Romains à tous les genres importans de la poésie hellénique. C’était un jeune Grec, fait prisonnier à la prise de la rente, qui s’appelait Andronicos, et prit le nom de Livius Andronicus, après que son maître l’eut affranchi. Il ouvrit une école à Rome, et traduisit l’Odyssée d’Homère, pour avoir un livre qu’il pût expliquer à ses élèves. L’ouvrage se maintint longtemps dans les classes, puisqu’on s’en servait encore pendant la jeunesse d’Horace, et à son grand déplaisir, et pourtant, à le juger par les quelques vers qui nous en restent, il devait être bien médiocre. Livius, en reproduisant le récit homérique, semblait avoir tenu à en éteindre la poésie. Nous voyons, par exemple, qu’il supprime, comme de parti pris, ces épithètes toujours les mêmes, que le poète accole aux noms des héros et des Dieux, et qui finissent par préciser pour nous leur figure et nous la rendent plus vivante. C’était un essai bien timide, bien pâle,

  1. Cicéron, De Republica, II, 19.