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bonne Dolly Winthrop si une théologie sommaire et confiante n’éclairait pas pour elle les obscurités du chemin ?

Eh bien ! maître Marner, il n’est jamais trop tard pour changer de conduite. Vous qui n’avez jamais mis les pieds à l’église, on ne peut pas imaginer le bien que ça vous ferait d’y aller. Car, moi, je me trouve plus heureuse et plus rassurée que jamais, quand j’y suis allée et que j’ai entendu les prières et les cantiques à la louange de Dieu comme M. Macey les entonne, et les bonnes paroles de M. Crackenthorp. Surtout les jours de communion ! Si quelque ennui m’arrive, je sens que je pourrai le supporter, car j’ai cherché secours au bon endroit et je m’abandonne à ceux à qui, en fin de compte, il faudra bien nous abandonner un jour.

Religion pour le peuple, dira-t-on. Non pas, et la fière Romola elle-même fera taire son orgueil pour demander une règle de conduite à Savonarole.

Les dogmes lui importaient peu, et elle n’avait aucun goût pour les prophéties du Père.., elle lui avait soumis son esprit et était entrée en communion avec l’Église, parce qu’ainsi elle trouvait une satisfaction immédiate à cette faim de perfection morale que ni sa culture antérieure ni sa première expérience du monde n’avaient assouvie. La voix du Père Girolamo avait fait surgir devant elle, en dehors des joies et des affections personnelles, une fin de la vie, et comme sa propre nature ne se sentait pas assez forte pour vouloir cet idéal, elle se soumettait à toutes les pratiques de l’Église, dans le désir et l’attente d’une force supérieure. La question pour elle n’était pas de voir clair dans des questions de controverse, mais d’entretenir cette flamme de sentiment désintéressé qui pourrait changer sa vie désolée en une vie d’activité et d’amour.

La chose est donc claire. Dès qu’elle a pris définitivement conscience d’elle-même, George Eliot a rétracté au moins implicitement la plupart de ses premières accusations contre le christianisme. Elle ne lui reproche plus maintenant que de ne pas être la vérité. À ses yeux, ses héroïnes s’abusent quand elles croient sentir la présence divine, mais leur vertu ne perd rien à s’aider ainsi de la pensée du ciel. Un temps viendra peut-être où les âmes seront plus détachées et plus fortes, mais enfin pour l’instant, les philosophes ne nous proposent rien qui soit décidément supérieur à la bonne vertu chrétienne qui s’anime par la pensée de la récompense ou lu peur du châtiment et qui trouve un secours dans les humbles pratiques de la religion.

Comme on le voit, vraie ou fausse, la religion n’a de sens pour elle qu’en fonction de la morale. S’il ne console ou s’il