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J’aurais mal défini cette sympathie si je ne marquais expressément ce qu’elle comporte de résignation courageuse. Elle ne se nourrit d’aucun optimisme chimérique. Elle n’exagère pas la perfection de ceux à qui elle s’adresse. Encore moins se fait-elle illusion sur la petitesse de cette aumône d’affection et de pitié que nous offrons à la misère du prochain.

Le meilleur, le seul Évangile, — dit quelque part une de ses héroïnes, — est celui qui met du confort dans chaque demeure, de la joie dans tous les cœurs. N’est-ce pas, maman ?

Mais la mère plus sage répond en branlant doucement la tête :

Ah ! ma fille, j’ai bien peur qu’il n’y ait, ici-bas, aucun Évangile capable d’en faire autant.

Sans doute, le mieux qu’on puisse obtenir pour soi et les autres ne sera jamais qu’un moindre mal. George Eliot le sait bien, mais elle veut être heureuse, elle veut qu’on soit heureux autour d’elle, comme on peut l’être ici-bas. « Autant que possible, nous devons vivre pour la joie et ne fixer notre pensée sur les choses douloureuses qu’autant que cette conscience plus vive nous aide à chercher quelque remède à nos maux. » Quand je dis : elle veut, j’emploie le mot propre. Ce bonheur qui est pour elle, nous l’avons vu, nécessaire au plein épanouissement de la sympathie, il faut le vouloir, s’y exercer, le défendre contre tout ce qui risquerait de le compromettre. Car il est entendu que le déterminisme n’est bon qu’en théorie pure. « Chaque matin nous apporte quelque occasion nouvelle d’exercer notre volonté. Je ne me raccommoderai avec votre philosophie que lorsque vous aurez concilié le nécessitarianisme, — oh ! que je déteste ce vilain mot ! — avec le fait de vouloir fortement, de vouloir vouloir fortement. »

Quant aux « frères humains » qui attendent de nous ce secours, George Eliot accepte qu’ils n’aient d’autre auréole que leur souffrance. Non, elle ne nous fait pas meilleurs que nous ne sommes. Aucun de nos ridicules, aucune de nos bassesses ne lui échappe. Les lecteurs de Middlemarch le savent bien. Mais c’est nous précisément, êtres de faiblesse, et dont les rares vertus boitent toujours, c’est nous qui avons besoin d’amour, et aucun autre traitement ne nous acheminera vers la