Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

juridique, qui a cet avantage d’être lente en sa procédure et de permettre, en gagnant du temps, de profiter de l’occasion.

Tandis qu’il parle et parce qu’il parle, « l’ami qui parle » s’échauffe peu à peu : — Que veut le duc ? Qu’a-t-il en tête ? — Délivrer toutes les terres de l’Eglise des factions et des tyrans, les restituer au Pontife, et solum retenir la Romagne pour soi. S’il le fait, — en cette phrase transparaît et reperce le souci profond de César, — un nouveau pape devra lui en être obligé, ne se trouvant plus serf des Colonna, comme l’ont toujours été les Papes par le passé. Pour ce qui est de la Romagne et de la Toscane, depuis beau temps le duc ne pensait qu’au moyen de les pacifier, et il lui semble l’avoir fait par la prise et la mort de ceux qui étaient la pierre du scandale : ce qui reste, à son avis, n’est que feu à éteindre avec une goutte d’eau. Enfin, arrivant à la conclusion, la Seigneurie peut maintenant asseoir ses dispositions : qu’elle envoie à César un ambassadeur, qui traitera à l’honneur et au profit des deux parties ; qu’elle fasse, — ici l’amico récite sa leçon mot à mot, — « toute démonstration d’amitié avec lui, » et laisse de côté les longueurs et les égards.

Personne ne s’y tromperait : à plus forte raison Machiavel ne s’y trompe-t-il point ; si le duc de Valentinois aime la Seigneurie florentine, il ne l’aime pas pour elle-même, et, comme on dirait vulgairement, sans dot. Mais les Dix entendent ne pas donner de dot, et, même sans dot, aiment mieux ne pas se donner. Ils voudraient bien ne se mettre en frais que de complimens ; encore les mesureraient-ils. Ils ont appris, le 1er janvier, l’acquisition de Sinigaglia par le duc, et il leur paraît tout d’abord poli de l’en féliciter. Mais, le 3 et le 4, quand des bruits commencent à courir confusément à Florence, où les uns disent que Paolo Orsino, le duc de Gravina, Vitellozzo, messer Oliverotto ont été « taillés en pièces » par les gens du Valentinois, les autres qu’ils ont seulement été faits prisonniers, dans la diversité des racontars, la Seigneurie croit pouvoir retenir que le duc « a obtenu contre ses adversaires ou tout ou une grande partie de ce qu’il avait projeté. » En conséquence, elle prescrit à ses envoyés de se transporter auprès de Son Excellence et de se congratuler avec Elle de son bonheur, « en notre nom, » officiellement, « avec modestie néanmoins, et en montrant que nous présupposons que la chose s’est faite convenablement et parce qu’ils (les condottieri) y avaient donné motif, afin que nous