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sont de l’expédition se rendent chez le duc ; ils en sortent émus, furieux. Qu’y a-t-il ? Serait-ce une défaite dans le royaume de Naples ? Machiavel va aux nouvelles auprès de ces capitaines, qui sont muets ou répondent n’importe quoi : que le duc n’a plus besoin d’eux, qu’ils seraient à charge et le rendraient à charge aux populations. En réalité, peut-être sont-ils piqués de ne rien savoir ; peut-être, au contraire, ont-ils flairé quelque chose, et ne veulent-ils pas s’associer à une besogne qui ne saurait plaire à des soldats et à des gentilshommes. Le fait est qu’ils se retirent, et chacun, là-dessus, épilogue et divague : « chacun fait ses châteaux » d’hypothèses, ses castellucci. L’ami qui parle ne sait pas ; César qui sait ne parle pas. Si l’on savait seulement où l’on va ! Machiavel se tourmente. Le duc a fait naguère allusion à Pise. Mais s’il essaie de se renseigner, l’un « tourne au large, » l’autre commence des histoires qui n’en finissent pas.

Le mystère pèse de plus en plus lourd autour de César : le secret, le silence, autour de lui, ont maintenant une espèce de gravité, de solennité, de majesté funéraire. Le 23 décembre, de Cesena, Machiavel écrit : « Messer Rimirro d’Orco, qui était le premier homme de ce seigneur, revenu hier de Pesaro, a été mis par ce seigneur dans un fond de tour : on craint qu’il ne le sacrifie à ces peuples, qui en ont un désir très grand. » Et le 26 décembre : « Messer Rimirro, ce matin, a été trouvé en deux morceaux sur la place, où il est encore : et tout ce peuple l’a pu voir : on ne sait pas bien la raison de sa mort, sinon qu’il a plu ainsi au prince, lequel montre savoir faire et défaire les hommes à sa guise, selon leurs mérites. » Entre le 23 et le 26, le duc s’était livré à ses plaisirs, « à cause de la pâque » (à l’occasion des fêtes de Noël)… Vitellozzo eut un pressentiment.


CHARLES BENOIST.