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César n’est plus que l’ombre de César. Tout d’abord, quoique très affaibli et alangui, pendant les vingt-six jours du pontificat de Pie III et les préparatifs du conclave de Jules II, il se redresse contre le destin. Du Castello, du château Saint-Ange où il s’est enfermé, il voit, sans trop s’en émouvoir, s’embrouiller et se brouiller ses affaires en Romagne. Les Riario-Sforza et les Ordelaffi se disputent Forli, les Manfredi sont rappelés à Faenza : tout ce vol de tyrans qu’il se flattait d’avoir dénichés et étouffés retourne à son aire. Mais ses gouverneurs tiennent bon, et du reste, comme il le disait du duché d’Urbin, s’il perd ses bonnes villes, il sait le chemin pour y revenir et le moyen de les reprendre. Il se plaint, — un peu pour la forme, — que ceux qui lui prodiguaient naguère les démonstrations affectueuses soient subitement devenus si froids depuis qu’il est comme en suspens : au fond, « il a plus d’espoir que jamais de faire de grandes choses, en supposant qu’il ait un pape selon le désir de ses amis. » Cet espoir est tenace en lui, et il s’en peut donner des raisons, une du moins qui lui paraît bonne : une notable fraction du Sacré-Collège est composée de cardinaux qu’on sait être ses créatures à ce point qu’on le courtise pour les avoir. Avec ses Espagnols, il peut ou faire le pape qu’il veut, ou empêcher de faire le pape qu’il ne voudrait pas. Fait par lui ou non empêché par lui, le pape lui devra la papauté ; il lui en aura de l’obligation, et César vit donc dans l’irréductible et indéfectible espérance d’être nécessairement, comme il aura été nécessaire à l’élection, « favorisé par le pontife nouveau. »

Même si ce pontife nouveau était auparavant en d’autres dispositions ; même si c’était un ennemi ; même Julien de La Rovere. Par une erreur psychologique due à un choc physiologique, ou par une de ces inspirations hardies qui lui ont ailleurs réussi, le duc s’est rallié à cette candidature : peut-être a-t-il pensé que le cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens paierait son concours plus cher que tout autre, étant pour lui plus que pour tout autre inattendu ; et peut-être s’est-il rappelé que le roi de France ne vengeait pas les injures du duc d’Orléans. C’était se tromper d’homme et de pays, mais il s’y trompe, et tandis que tout le monde doute, lui seul a l’air de ne pas douter. Il y va, suivant une de ses locutions familières, « de bonnes jambes, » il pousse à la roue de toutes ses forces, si bien que le cardinal peut « tirer cette poste, » et que le voilà Jules II.