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Qu’est-ce que César a obtenu en échange de ses voix ? Des mots. On raconte que le Pape s’est engagé à le rétablir en Romagne, à lui donner pour sa sûreté Ostie où le duc entretient Mottino et deux navires. En attendant, César est au palais apostolique, logé dans les Stanze nuove, avec une suite de quarante personnes. Personne ne sait ce qu’il va faire, s’il va partir ou demeurer.


Il y en a qui disent qu’il va s’en aller à Gênes, où il a la plus grosse partie de son argent, et de là en Lombardie, où il recrutera du monde, pour revenir en Romagne ; et il semble qu’il le puisse faire, puisqu’il lui reste encore en argent deux cent mille ducats ou davantage, qui sont pour la plus grande partie entre les mains de marchands génois. D’autres disent qu’il n’est pas près de partir de Rome, qu’il y attendra le couronnement du Pape pour y être fait par lui gonfalonier de la Sainte Eglise, selon les promesses, et, sous ce titre, récupérer son État. D’autres encore croient, — qui ne sont pas des moins prudens, — que, ce pontife ayant eu pour sa création besoin du duc et lui ayant fait de grandes promesses, il lui faut bien l’entretenir ainsi, et souvent, si César prend d’autre parti que de rester à Rome, qu’il reste longtemps ; parce qu’on connaît la haine naturelle que Sa Sainteté lui a toujours portée, et qu’Elle ne peut sitôt avoir oublié l’exil où elle a été dix ans. Quant au duc, il se laisse transporter par cette courageuse confiance qui n’est qu’à lui, — da quella sua animosa confidenza ; — il croit que les paroles d’autrui seront plus fermes que n’ont été les siennes, et que la foi donnée des mariages doit tenir, car on annonce la confirmation du mariage entre Fabio Orsino et la sœur de Borgia, et aussi que la fille du duc épousera le Prefettino. Je ne puis vous en dire plus de ses affaires, ni me déterminer à une fin certaine : il faut attendre le temps, qui est père de la vérité.


Ainsi, ce qui domine d’abord chez César, c’est « un grand espoir, » une « confiance courageuse, » qui surprennent et donnent encore à réfléchir. La Seigneurie de Florence croirait-elle à un retour de la Fortune ? Un instant, elle redevient gracieuse, se réclame de son amour du roi de France et du duc, auquel elle a toujours souhaité et toujours voulu faire du bien. Pour César, dans le même entretien, on le voit, on l’entend gémir, gronder, se faire humble, se faire terrible ; se faire tout petit, se hausser ; se tapir, rugir et bondir ; éclater de son rire sarcastique et déborder, ce n’est pas trop dire, « en paroles pleines de poison et de passion. » Machiavel le calme de son mieux, mais il a hâte d’être dehors : « Je n’aurais pas manqué de quoi lui répondre ; mais je me résolus à aller l’adoucissant, et, le plus adroitement que je pus, je pris congé de lui ; ce qui me parut mille ans. » Le duc accuse Florence : « Mes ennemis, ce ne